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Olivier Barlet / Les six décennies des cinémas d’Afrique 236
chantement est rude après le rêve des indépendances et la critique contre le
colonisateur est remplacée par le plaidoyer contre les « pères de la nation ».
Mais la subversion qui caractérise depuis leurs débuts les cinémas d’Afrique
ne peut s’exprimer aussi librement qu’en littérature, comme chez un Sony
Labou Tansi qui installe en 1979 la figure du dictateur dans La Vie et demi,
non sans l’accompagner de celle du rebelle immortel, sa bête noire. Une nou-
velle génération de cinéastes continue de se faire le miroir de la réalité, mais
choisit la subjectivité du romanesque pour l’appréhender avec émotion et sen-
sualité.
Le Burkinabè Idrissa Ouédraogo raconte ainsi dans Le Choix
(Yam Daabo, 1986) les péripéties d’une famille sahélienne qui cherche une
vie meilleure au Sud. L’image suggère plutôt qu’elle ne montre, comme
cette mort hors champ du petit Ali, le fils de la famille, renversé par une
Photo 4. Image du film Wend Kuuni de Gaston Kaboré (1982, Burkina Faso).
voiture dans une rue de la grande ville.
« Tous mes films parlent de l’humiliation des gens, comment on
les casse. Ce sont tous des personnages blessés », dira le Tunisien Nouri
Bouzid. (2658) Dès son premier long métrage en 1986, L’Homme de cen-
dres, il démonte ce qu’il appelle « le mythe de l’homme arabe », comme
déjà Omar Gatlato de l’Algérien Merzak Allouache en 1976, où un jeune
ne peut faire le pas d’une rencontre amoureuse. Le spectateur est pris au
piège de s’identifier à des personnages non-valorisants. Sans quitter la veine
du néoréalisme et du cinéma social, les cinémas du Maghreb font eux aussi
le plongeon vers la complexité de la subjectivité.