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tation masculine collectif pour Sami Bouajila, Jamel Debbouze, Samy
Naceri, Roschdy Zem et Bernard Blancan) et Hors-la-loi en 2010, douze
ans s’écouleront avant qu’un film d’Afrique noire ne retrouve le chemin de
la compétition, jusqu’à Un homme qui crie du Tchadien Mahamat-Saleh
Haroun en 2010 (prix du jury). Pourtant, jusqu’en 1997, la sélection can-
noise fait la part belle aux films d’Afrique noire. En 1992, Hyènes de
Djibril diop Mambety rappelle magnifiquement la cupidité de ces hyènes
que sont devenus les hommes. En 1993, la Sud-africaine Elaine Proctor
fait dans Friends le portrait de trois femmes que tout sépare, une
professeure noire, une activiste blanche et une archéologue afrikaaner. En
1995, dans Waati, le Malien Souleymane Cissé lie quête initiatique et
mémoire cultu- relle pour trouver les voies de l’unité africaine et de la
solidarité. En 1996, Po di Sangui du Bissau-guinéen Flora Gomes célèbre
la rencontre des cul- tures, rappelle que le sacrifice d’une partie de soi est
nécessaire pour ac- cueillir chez l’Autre ce qui fait sa valeur, appelle au
rejet des atteintes à l’environnement et à l’humain. Et en 1997, Kini &
Adams d’Idrissa Ouédraogo explore le mur qui se bâtit entre les êtres dans
une société déchirée entre ce qu’elle devient et ce qu’elle a été. C’est dans
le refus de l’indivi- dualisme que ses personnages expriment leur quête
d’individualité et c’est en cela que ce cinéma continue d’être subversif. La
même année, Le Destin de l’Egyptien Youssef Chahine, épopée lyrique
contre l’intolérance et l’in- tégrisme, remporte le grand prix du
cinquantième anniversaire du festival.
Renforçant la désillusion amère que vivait déjà le continent africain
lorsqu’il n’était qu’enjeu de la guerre froide, l’espoir de démocratie suscité
par les Conférences nationales de la première moitié des années 90 débou-
chera sur un désenchantement de plus, renforcé par le drame des enfants-
soldats et du génocide rwandais. C’est bien un être en crise qu’explore le
cinéma, mais dégagé des illusions de l’identité. Pour ne pas être enfermés
dans la différence culturelle, les jeunes cinéastes refusent avec vigueur la
dénomination de cinéastes africains. Ils appliquent discrètement la célèbre
maxime du Nigérian Wole Soyinka : « le tigre n’a pas besoin de proclamer
sa tigritude, il bondit sur sa proie et la mange ».
De fait, un nouveau cinéma apparaît à l’orée du siècle, porté par une
nouvelle génération et annoncé par des films comme La Vie sur terre du
Mauritanien Abderrahmane Sissako en 1998 ou Bye bye Africa du Tchadien
Mahamat-Saleh Haroun en 1999, emblématiques d’une nouvelle écriture
capable de prendre des risques dans la forme comme dans le fond, de poser
des questions sans réponses, d’explorer l’humain sans concession.