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Olivier Barlet / Les six décennies des cinémas d’Afrique 244
vent transgresser les règles par la ruse et la subversion. Mais dans les années
2010, elles apparaissent plus contradictoires. Les scénarios se focalisent sur
la négociation et la ruse, le détournement et la transgression, les stratégies
en somme des femmes en lutte pour leur émancipation, sans pour autant en
nier les compromis nécessaires : Sofia de Meryem Benm’Barek (Maroc),
Amal de mohamed siam (Egypte)...
6.2.2 Déconstruire les préjugés
La violence prenant ses sources dans l’intolérance, contraire aux valeurs
culturelles africaines, les cinéastes s’attaquent aux préjugés qui entraînent
les exclusions. Il ne s’agit pas de pratiquer un forçage identitaire mais de
développer un imaginaire digne de faire bouger les lignes.
S’il est un préjugé tenace en Afrique comme dans le reste du monde,
c’est envers l’homosexualité, dénoncée comme contre nature ou une im-
portation des Blancs (qui furent pourtant historiquement les premiers à vou-
loir la réprimer). La sélection au festival de Cannes de Rafiki de Wanuri
Kahiu a entraîné son interdiction au Kenya. Les Initiés de John Trengove
(Afrique du Sud) porte la blessure de l’intégration impossible quand il faut
renier son intimité et la blessure du mépris pour la différence.
6.2.3 Conjurer l’indifférence et le désenchantement
Avoir raison du désarroi face au devenir du monde : le documentaire,
« cinéma du réel », se charge de voir les choses en face et de dégager des
facteurs d’espoir. De jeunes réalisateurs pratiquent un cinéma de l’urgence,
en phase avec les convulsions des sociétés, sans trop attendre les finance-
ments. Cela ne les empêche pas de voguer sur les traces des grands qui les
précèdent et continuent infatigablement leur travail de création d’archives
contemporaines : Malek Bensmaïl (Algérie), Jihan El Tahri (Egypte),
Jean-Marie Teno (Cameroun). Tous restaurent une vision citoyenne face
aux insuffisances des médias.
6.2.4 Lutter contre l’intégrisme
Déconstruire la peur, prévenir la jeunesse et favoriser la réconciliation :
c’est là aussi avec des histoires de familles que les cinéastes abordent la
question de l’islamisme. La crise familiale en Tunisie est au cœur de Mon
cher enfant Mohamed Ben Attia ou de Fatwa de Mahmoud Ben Mah-
moud. Encore faut-il ne pas faire des intégristes de sombres brutes obscu-
rantistes ? Succès public et critique, Timbuktu d’Abderrahmane Sissako
reste une référence de subtilité dans son approche. La fragilité des Djiha-
distes est certes objet de dérision mais signe aussi de ces faiblesses qui les