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Olivier Barlet / Les six décennies des cinémas d’Afrique 246
Photo 6. Image du film Terminal Sud / South Terminal (de Rabah Ameur-Zaïmeche, 2019, Algérie),
avec l'acteur Ramzy Bedia.
6.3.2 Fugitifs modernes
Habiter le monde, c’est bouger. Mais nombre de jeunes Icare se brûlent
les ailes à vouloir traverser… De nombreux films rendent compte de la
condition déplorable de la migration, du drame des réfugiés. La folie du
voyage à risque nécessite davantage qu’une fuite. Fuir serait un instinct de
survie, voire une lâcheté. C’est d’une fugue qu’il s’agit, comparable à celle
des nègres marrons. Comme en musique, la fugue consiste à « opérer des
variations sans fin pour déjouer toute saisie ». Cela passe par le camou-
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flage, les ruses pour échapper au molosse, mais aussi des formes de vie iné-
dites, la pratique d’une indocilité créatrice. Cet « héroïsme ordinaire des
demandeurs de refuges », pour reprendre une expression d’Edwy Plenel,
est une vie qui s’invente . Pour appréhender la vitalité et l’apport des mi-
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grants, il s’agit d’en conjurer l’invisibilité.
Au-delà de tout naturalisme, le Tchadien Mahamat Saleh Haroun
trouve dans Une saison en France, la justesse d’une fiction centrée sur le
ressenti de personnages confrontés à un implacable destin. Avec Vent du
nord, c’est la communauté de destin entre les perdants de chaque côté de la
mer, mais aussi leur vitalité, que convoque le Tunisien Walid Mattar. Une
solidarité est-elle possible dans la mondialisation ? Les cinéastes ne la si-
tuent pas au niveau politique ou syndical. C’est dans l’humanisme profond
des cultures africaines qu’ils fondent un espoir, dans les valeurs qu’elles
portent.