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Afrique, le dernier cinéma
Clyde Taylor
a plupart des nations africaines ont obtenu leur indépendance en 1960
L après la Seconde Guerre Mondiale. Le retrait des drapeaux des nations
européennes coïncide avec la projection des premiers films réalisés par les
nations noires africaines. Au cours des décennies qui ont suivi, le cinéma
africain s'est péniblement affranchi des restrictions et des mécanismes per-
sistants de la domination et s’est engagé dans le processus de la décoloni-
sation.
La signification du cinéma pour les Africains d'avant l'indépen-
dance et les cinéphiles d'aujourd'hui est résumée dans un personnage es-
quissé par Ousmane Sembène: « il vivait dans une sorte de monde à part ;
ce qu’il lisait, les films qu'il voyait, l'inscrivaient dans un univers où les
siens n'avaient pas de place, et par là même, il n'avait plus de place dans
le leur ». Les fantasmes narratifs commerciaux avaient intimé le « manque
de civilisation » de son propre peuple. « Lorsque N'deye sortait d'un théâtre
où elle avait vu des visions de chalets de montagne profondément enneigés,
de plages où les grands de ce monde s'allongeaient au soleil, de villes où
les nuits clignotaient de lumières multicolores, et qu'elle marchait de ce
monde vers le sien, elle était saisie d'une sorte de nausée, mélange de haine
et de honte. « Grâce à l'éducation dispensée dans les écoles coloniales et
les salles de cinéma, elle en savait beaucoup plus sur l'Europe que sur
l'Afrique ».
L'expérience de l'Afrique avec le cinéma pendant six décennies a
été une expérience de détresse existentielle. La relation des Noirs d'Afrique
à cet instrument magique était celle d'un peuple enfermé dans le silence co-
lonial, pour une durée bien plus longue pour toute autre population compa-
rable. Ils étaient obligés d'observer avec fascination, des mondes très
différents de ceux qu'ils connaissaient, même lorsque les films portaient
prétendument sur leur pays d'origine : dans lesquels des successions de Tra-
der Horns et de Tarzans gambadaient parmi eux avec une animation gla-
mour, pour mieux signifier leur propre irréalité. Les intellectuels africains
ont été peinés de voir Paul Robeson, qu'ils ont finalement connu comme