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Clyde Taylor / Afrique, le dernier cinéma                    255

          se méfient du type d'enquête critique sur les conditions nationales que le
          cinéaste est susceptible de stimuler. Les faiblesses économiques du conti-
          nent, les problèmes de sécheresse, de famine, de maladie, d'ignorance, de
          guerres et de conflits interethnique, font que la demande des cinéastes pour
         de maigres ressources semble impudente.

                 A cette position, le cinéaste peut opposer deux réponses convain-
         cantes: Premièrement, les ressources nécessaires sont déjà présentes dans
         les sommes que les africains dépensent pour voir des films importés qui
         leur font perdre la tête. Et deuxièmement, les perspectives apportées par
         son film peuvent avoir un impact sur la sécheresse, la famine, la maladie,
         l'ignorance et le reste en clarifiant leurs causes et leurs solutions. Mais une
         élite africaine qui voit principalement son salut dans ses liens avec les sys-
         tèmes économiques et politiques de l'Occident, est largement indifférente à
         ces arguments. La grille cognitive des stéréotypes hollywoodiens interna-
         tionalisés, dans lesquels les africains sont condamnés à la dépendance ou à
         l'échec, renforce continuellement l'inertie qui maintient le public africain,
         les élites, les sociétés occidentales, bref, « le monde », sceptiques face à un
         cinéma africain indépendant et créatif.
                 L'environnement du cinéma africain reste donc un environnement
         qui incarne un conflit autour des ressources matérielles et mentales. Il est
         tout aussi clair que l'évolution exigeante du cinéma africain est inséparable
         des contextes des réalités politiques, économiques et psychologiques afri-
         caines, des mouvements pour le changement ainsi que des complexes de
         subordination, de sous-développement et d'inertie. La remarquable réussite
         du cinéma africain, un corpus de films défiant par son ampleur et ses talents,
         ses « handicaps » matériels, n'est pas un « miracle » isolé, mais le reflet
         concret d'énergies tendues vers la décolonisation et la réappropriation dans
         tous les domaines de la vie africaine.

                 Un début de cinéma africain s'est produit en 1955 lorsqu'un groupe
         d'étudiants africains, Paulin Vieyra, Mamadou Saar, Robert Cristan et
         Jacques Melo Kame, ont réalisé un court métrage à Paris, Afrique sur Seine
         / Africa on the Seine  . Il est caractérisé par de longues prises de vue de
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         jeunes hommes africains marchant pensivement le long des boulevards de
         Paris dans des scènes suggérant une aliénation existentialiste et une tech-
         nique cinématographique influencée par le néo-réalisme italien.
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