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Clyde Taylor / Afrique, le dernier cinéma 259
La même évidence de la richesse symbolique immanente qui perce
le plan insoupçonné de la réalité de surface, vaut pour l'ensemble de l'œuvre
de Sembène. La conviction de Sembène que les femmes africaines ne sont
toujours pas reconnues comme les gardiennes de la tradition africaine et la
force la plus progressiste vers la libération de l'Afrique est exprimée avec
plus d'audace dans chaque film successif. Pour ces raisons, Ceddo constitue
une sorte de paradigme des éléments définitifs de l'œuvre cinématogra-
phique de Sembène.
Le parcours de Med Hondo (Mohamed Abid Hondo de
Mauritanie) dans le cinéma a quelques parallèles avec celui de Sembène.
Comme Sembène, il a découvert sa vocation créatrice en France. Après
avoir exercé tous les métiers, y compris celui de docker. Hondo devient
acteur. En 1966, il crée sa propre troupe, Shango, à Paris, pour présenter
des pièces de la diaspora noire. Touché par l'indifférence des français à
l'égard de ses pro- ductions théâtrales et par le peu de chance qu'il a de
toucher le public noir, il élargit son champ d'action au cinéma. Mais
contrairement à Sembène, Hondo est resté expatrié en France.
Le profond sentiment d'éloignement et d'aliénation que Hondo a
vécu en France a été l'énergie motrice de ses films. Grâce à sa dialectique
marxiste, il décrit cet éloignement comme le revers de la médaille de la sé-
paration de l'Afrique de ses propres valeurs sous l'impérialisme. Hondo
considère que l'expression de ce thème exige la recherche d'un langage ci-
nématographique africain non dominé, et il a porté cette recherche dans un
style plus disruptif et non linéaire que celui de Sembène.
Le premier long métrage de Hondo, Soleil Ô / O Sun (1970), dont
le nom provient d'une complainte tirée d'une chanson d'africains transportés
aux Antilles, utilise l'éloignement à la fois comme thème et comme tech-
nique. Son protagoniste, un comptable vivant en France, est sans nom,
comme le personnage central du roman Invisible Man d'Ellison. L'ouver-
ture, une bande dessinée sous les titres, montre un africain qui a été placé
au pouvoir grâce à une intervention militaire étrangère, pour ensuite se voir
retirer ce pouvoir. Ce héros ambivalent, un composite d'expériences per-
sonnelles, y compris certains films de Hondo, traverse une succession d'épi-
sodes plus modulaires et métaphoriques que séquentiels et figuratifs. Les