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             Le commentaire d'Ahmed El Maanouni mérite d'être cité:
                « Le paysan est doublement asservi, par la terre et par le propriétaire (…)  « le
                joug du servage est clairement représenté par la mort de la jeune paysanne, em-
                portée par le torrent alors qu'elle tentait de sauver de la noyade la vache du pro-
                priétaire  (...).  Pendant  que  les  paysans  sortent  pour  travailler  la  terre,  le
                propriétaire se rend à l'église. La religion vient de l'extérieur et est une image de
                pouvoir comme les vêtements occidentaux portés sur les habits traditionnels. La
                domination étrangère est également indiquée par le passage fréquent de camions
                le long de la route, une technologie à la fois présente et hors de portée » ...

                     La mise en scène en noir et blanc de Gerima, au rythme lent, trans-
             porte son spectacle au-delà du néoréalisme, dans une mémoire collective
             intemporelle. La grâce et l'élégance des mouvements des paysans, la fer-
             meté non aliénée et non sentimentale de leur amour mutuel, le témoignage
             éloquent de leurs visages dans un film presque muet, la spiritualité de leur
             culture quotidienne, confèrent à leur histoire une antiquité aux résonances
             bibliques. Dans une scène, le père paysan entreprend une longue marche
             jusqu'au sommet de la colline pour se plier aux réprimandes du propriétaire
             qui est assis au sommet avec une vue sur son domaine. Dans une séquence
             de rêve, une jeune femme et ses parents sont conduits dans les champs, at-
             telés comme des bœufs à une charrue, un fouet claquant au-dessus de leur
             tête. Ces images sont inoubliables. De tels moments rendent Harvest plus
             convaincant que la réalité ou la fiction.

                     Une autre sorte de film d'expatriés est Sambizanga (1972), réalisé
             par Sarah maldoror, née à Paris de parents guadeloupéens. Inspiré de La
             vraie vie de Domingos Xavier, du romancier angolais Luandino Vieira,
             il se situe au début de la révolution angolaise (bien que tourné en Guinée-
             Bissau). Maria ne sait pas que son mari est membre du Mouvement popu-
             laire pour la libération de l'Angola, et lorsqu'il est arrêté et emprisonné par
             les Portugais, elle prend la route avec son bébé pour trouver où il se trouve,
             espérant que ses recherches le protégeront de l'indifférence officielle. Des
             leçons importantes sont discrètement transmises en cours de route : son mari
             meurt sous la torture plutôt que de trahir son camarade blanc, tandis qu'elle
             est aidée dans son pèlerinage par un réseau de membres du parti. La prise
             d'assaut de la prison où son mari Domingos est mort, qui n'est pas montrée
             dans le film, est réputée avoir fait passer la révolution au niveau de combat
             ouvert qui a conduit au succès.
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