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A peine submergée par ces explorations de la tradition orale comme
fondement du cinéma, se trouve une contestation implicite de la visualisation
ethnographique de l'Afrique qui s'identifie plus particulièrement au travail de
Jean Rouch. Pionnier majeur du cinéma-vérité et du cinéma ethnographique,
les films de Rouch sur l'Afrique sont exempts du racisme enthousiaste des
traitements antérieurs.
Mais, selon René Vautier, un autre cinéaste français et l'un des fon-
dateurs du cinéma algérien, le cinéma de Rouch reste de la propagande contre
un peuple colonisé . Les ethnographies de Rouch, en fait, ne dérangent guère
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la pensée stéréotypée qui se reflète dans l'étude des écoliers américains de dou-
zième et de septième année citée plus haut.
Le cœur de la difficulté réside dans le fondement même de l'étude an-
thropologique, à savoir la préservation d'une vision unique de l'Afrique comme
l'Afrique du passé. En outre, Rouch a du mal à expliquer pourquoi les Afri-
cains de ses films ne parlent jamais d'eux-mêmes. À son crédit, rouch met
un point d'honneur à former des techniciens africains, et plusieurs réalisateurs
africains ont travaillé avec lui, notamment Mustapha Alassane et Oumarou
Ganda du Niger, Désiré Ecare de Côte d'Ivoire et Safi Faye du Sénégal.
Vautier compare les films ethnographiques sur l'Afrique à un film
amateur réalisé par sa tante, mettant en scène des Britanniques faisant le tour
d'une montagne à genoux. En fait, les cinéastes africains ont parfois choisi
d'inverser les rôles pour étudier l'ethnographie des Occidentaux. C'est dans cet
esprit que le Nigérien lnoussa Ouseini suit un travailleur africain itinérant et
naïf dans la banlieue parisienne, où il est victime de la rouerie des Noirs et des
Blancs, en particulier d'une prostituée française dont il prend la gentillesse
pour de l'amitié. Plus pauvre mais plus sage, il envoie chez lui une carte postale
dont le message donne à ce court métrage son titre ironique : Paris, c'est Joli
(1975). Le Ghanéen Kwate Nee-Owoo a filmé les trésors d'art africain du Bri-
tish Museum, puis est descendu au sous-sol où, au milieu de responsables du
musée surpris, il a braqué sa caméra sur d'autres objets religieux africains en-
tassés comme des déchets. You Hide Me est une expression brute, digne du
cinéma vérité, d'une culture outragée.
Le fait est qu'une ethnographie plus vraie, plus complète est enregis-
trée par les quatre-vingt-onze réalisateurs africains traités dans Cinéastes
d'Afrique Noir de Guy Hennebelle, que dans les films de curiosité spéciaux