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             6.3.3 La choralité du vivre-ensemble
                Figure en déplacement, fugitif au pas de course, le migrant porte un re-
             gard cosmique sur le monde, comme les personnages de Des étoiles de la
             Sénégalaise Dyana Gaye, un hymne à la circulation et à la rencontre : mil-
             lions d’étoiles en mouvement dont l’enjeu sera de se rencontrer pour s’aimer
             et établir des solidarités, des constellations archipéliques. Il n’a pas là de
             relation idéale, au contraire la complexité des vécus douloureux. Les per-
             sonnages de Dyana Gaye se ratent : le déplacement les éloigne, mais en se
             ratant, s’ouvrent pour eux les occasions d’évoluer ou de se révéler. C’est
             dans la circulation que se groupent les étoiles. Il en résulte un positionne-
             ment dans le monde qui, sans renier ses origines, ne s’attache plus à un ter-
             ritoire. L’enjeu  ? La  «  montée  en  humanité,  répond  Mbembe  ». La
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             réhabilitation des valeurs africaines pour que le continent redevienne « le
             poumon spirituel du monde », écrit Felwine Sarr . L’Afrique a ainsi pour
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             mission  d’accroître la  densité  et la  maturité  de la  conscience  humaine
             (Alioune Diop) pour repenser le progrès.
             Il faudra pour cela « rendre compte de la persistance des lucioles  », comme
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             le dit l'Algérien Tariq Teguia qui avec Révolution Zendj livre un manifeste
             mosaïque sur « les désirs de lutte qui jamais ne se résignent ». Le film n’est
             pas une photographie du temps présent mais tente de voir ce qu’il devient.
             Chaque plan est une esthétique (et donc une sensation) de surgissement,
             non une forme donnée ou imitée mais une naissance de la forme. Les Der-
             niers jours de la ville de l'Egyptien Tamer El Said est un autre exemple de
             cette esthétique de la reconstruction qui cherche la beauté alors que la ville
             comme le monde s’effritent tout autour.

                L’enjeu de ces films est de trouver une forme qui se joue des influences
             et des frontières tout en revendiquant son ancrage culturel et une continuité
             historique pour parler du temps présent. Ceux du Marocain Hicham Lasri
             systématisent des plans très élaborés, graphiques, formalistes, avec une mise
             en scène proche de l’installation, du théâtre et une histoire décalée pour
             « réinventer l’étrangeté du monde ». Provocateurs et insolents, ses meilleurs
             films sont une surprise permanente, tout comme ceux du Tunisien Jilani
             Saadi. Ses personnages déjantés et angoissés sont humains avant tout, car
             le dérèglement systématique des repères permet de bouleverser des situa-
             tions où le problème est justement de conserver son humanité malgré tout.
             L’avenir ne peut être que poésie dans le grand aquarium tunisien des dou-
             leurs accumulées et des libertés retrouvées : il faut changer de paradigme.
             Les angles de prise de vue sont toujours imprévisibles : la caméra gopro li-
             bère du carcan du champ-contrechamp et ouvre à la sensation des corps. Il
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