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Olivier Barlet / Les six décennies des cinémas d’Afrique 240
5. Années 2000 : un voyage dans l’humain
«Et dans ce siècle, nous,
Winterbottom & Winterbottom,
Créateurs d’émotions,
Nous arrivons !!!»
Kossi efoui, Concessions
Pour sortir de l’enfermement dans la différence et brouiller les cartes de
l’identité, ce nouveau cinéma opère un véritable retour aux sources, se sai-
sissant de son fond culturel pour nourrir une esthétique appropriée aux né-
cessités modernes de son discours. A la manière de l’oraliture, développée
en littérature par Ahmadou Kourouma, les films tirent ainsi les ficelles de
l’oralité : les approximations revendiquées de la narration qui connotent
l’incertitude recherchée, les digressions comme des parenthèses dans le
récit qui viennent l’éclairer, les interpellations directes de regards caméra,
le maintien de l’illusion de la présence d’un public…
Le rythme qui en ressort s’apparente au blues, en accord avec des thé-
matiques de l’errance. Déjà, de Souleymane Cissé à Idrissa Ouédraogo
ou Djibril Diop Mambety, les films adoptaient le mouvement et la délo-
calisation permanente comme éléments privilégiés de la mise en scène. Les
films des années 2000 questionnent par un voyage dans le monde. Leur no-
madisme est une philosophie, celle de comprendre que l’enrichissement
vient de l’Autre. Dans L’Afrance, Alain Gomis renverse en 2001 le propos
de L’Aventure ambiguë, célèbre roman du Sénégalais Cheikh Hamidou
Kane enseigné dans toutes les écoles, qui suggère que l’hybridation est
mortifère, pour affirmer qu’on ne meurt pas d’être allé à la rencontre de
l’occident.
Comme dans Verre Cassé, le roman multiprimé d’Alain Mabanckou,
les cinéastes développent des clins d’œil d’intertextualité avec le cinéma
mondial. Pour explorer les voies de sortie du cercle vicieux de la violence,
le Tchadien Mahamat Saleh Haroun développe en 2006 dans Daratt une
esthétique épurée et tendue que ne renierait pas un Hitchcock. En 2006
également, le Mauritanien Abderrahmane Sissako met en scène avec
Bamako un procès de la mondialisation dans une cour africaine. Tariq
Teguia re- vient en 2007 sur le désert ouvert en Algérie par la guerre contre
le terro- risme dans Rome plutôt que vous et cherche en 2008 avec Inland
de nouvelles lignes de vie. C’est que ce cinéma est convaincu que les
solutions à la crise du continent ne peuvent être séparées d’une gestion plus
humaine