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Olivier Barlet / Les six décennies des cinémas d’Afrique     238

            Un traumatisme a rendu muet Wend Kuuni (Gaston Kaboré, Burkina
          Faso, 1982). Ses gestes, ses regards, et finalement sa parole retrouvée n’en
         prendront que plus de poids. En se basant sur la narration et le temps du
         conte, Kaboré explore le pourquoi des actes et ne se contente pas de les
         montrer, convoquant ainsi une affirmation de soi. Le film appelle à un autre
          ordre social, mais tient à le placer dans l’ordre des choses.


            C’est lorsque les films prennent ainsi le chemin d’un romanesque ancré
         dans le mythe qu’une reconnaissance internationale se conforte pour une
         cinématographie jusque-là cantonnée à un public d’initiés. L’engouement
         occidental est énorme et Cannes encense un cinéma qu’il découvre, attri-
         buant le prix du jury à Yeelen (La Lumière) de Souleymane Cissé en 1987,
         ce qui lui ouvre 340 000 entrées en France.

         4. Années 90 : l’individu face au monde

                                               «Comment dire la beauté du monde
                                                       quand l’espérance de vie
                                                   s’effrite comme mille-feuille»
                                                                Tanella boni
                                                                          9
            Les films d’Afrique apportaient dans les années 80 une fraîcheur sereine
         à un cinéma européen qui s’enlisait, doutant de son avenir à une époque
         vouée aux dogmes de la communication. Cherchant davantage dans ces
         films une séduction  qu’une véritable  compréhension,  les années 80 ont
         plongé dans la projection exotique, une folklorisation qui va de paire avec
         l’exacerbation de la différence. En défendant l’authenticité d’une culture,
         elles ont conforté l’inauthenticité du rapport à l’Autre. Mais voilà que les
         cartes (postales) sont durablement brouillées : les désordres croissants des
         banlieues, les pertes de repères et la montée de l’extrême droite répondent
         en un douloureux écho à la crise du continent écartelé. L’attente a changé :
         les années 90 voient le déclin du succès des films d’Afrique, en dehors de
         ceux qui abordent la question féminine dans les pays arabes comme Hal-
         faouine  (Férid  Boughedir, 1990) ou  Les  Silences  du  palais  (Moufida
         Tlatli, 1994).
            Tilaï d’Idrissa Ouédraogo, prix du Jury cannois en 1990, sera le dernier
         à trouver un vrai succès international. Au-delà de la critique des coutumes
         au nom même des valeurs qui les régissent, le film a le pathos d’un cri exis-
         tentiel, celui d’un être en crise. Alors que Cannes sélectionne les films de
         Rachid Bouchareb, Indigènes en 2006 (qui remportera un prix d’interpré-
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