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Olivier Barlet / Les six décennies des cinémas d’Afrique     234

          membres sont écartelés entre le pays et l’ailleurs.
            Cités par tous comme une référence en raison de leur fulgurance, les
          films de Mambety n’ont pourtant pas fait école. Seul le programme réaliste
          sembénien était considéré comme facteur de changement social. Ce n’est
          que dans les années 80 qu’une évolution se manifeste face au désenchante-
         ment des indépendances.


         3. Années 80 : le roman de soi
                                                                  «On dit que
                                                    En nous rythme une musique
                                                  Qu’on peut ne jamais entendre
                                                 A moins de faire silence en soi.»
                                                            - Koffi Kwahulé
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            Lorsqu’en 1982, les cinéastes se retrouvent à Niamey, ils rédigent un ma-
          nifeste qui appelle davantage à la construction d’une industrie cinématogra-
          phique qu’à la lutte anti-impérialiste. La notion "d’opérateur économique"
          apparaît. Le CIDC, Consortium Interafricain de Distribution Cinématogra-
          phique, était entré en activité en 1981 sous la houlette d’Inoussa Ousseini,
          rachetant les circuits de diffusion d’une filiale de la compagnie française UGC,
          qui dominait la distribution cinématographique de la presque totalité de
          l’Afrique noire francophone . Mais l’expérience sera de courte durée, le CIDC
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          faisant faillite en 1985 .
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            Pourtant, des films africains seront de francs succès : Djeli (Fadika Kramo-
         Lanciné, Côte d’Ivoire, 1981) ou Finye (Le Vent, Souleymane Cissé, Mali,
         1982) battent les records de recette dans leurs pays et font de bons scores ail-
         leurs. L’Amour mijoté dans la marmite africaine (Loved browed in the African
         Pot, 1991) du Ghanéen Kwaw Ansah fera rire toute l’Afrique anglophone.
         Essaïda (Mohamed Zran, 1996) fera un tabac en s’ancrant dans la vie d’un
         quartier populaire. Au Maroc, la comédie A la recherche du mari de ma femme
         (Mohamed Abderrahman Tazi, 1993) sera un immense succès populaire, de
         même que les films de Nabil Ayouch, Mektoub en 1997 et Ali Zaoua en 2000.

            En exigeant de leurs Etats la nationalisation du secteur, les cinéastes de la
         Fepaci s’étaient jetés dans la gueule du loup : elle entraînait un surcroît de bu-
         reaucratie et, dans de nombreux pays, un contrôle étatique qui ne laissait plus
         passer les films dérangeants. Le manifeste de Niamey cherche à échapper à la
         tutelle des Etats en leur demandant un soutien de la production nationale qui
         laisse l’initiative des sujets aux producteurs privés.
            La faillite du CIDC est à l’image de l’Afrique des années 80. Le désen-
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