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             Dans les années 50, Camara Laye (L’Enfant noir) introduit l’autofiction
             tandis que Mongo Beti (Ville Cruelle) perpétue la virulence de ses prédé-
             cesseurs. Un discours va s’affirmer, pour qui l’exaltation d’une Afrique an-
             técoloniale, monolithique à force d’unanimisme, est un leurre destiné à
             maintenir les héritiers du pouvoir colonial. Après les indépendances, Yambo
             Ouologem (Le Devoir de violence) opte ainsi pour l’insolence de l’esprit et
             pointe la responsabilité des Africains tandis qu’Ahmadou Kourouma (Les
             Soleils des indépendances) scrute l’affrontement entre les sociétés tradi-
             tionnelles et le modèle de civilisation imposé par l’Occident.

                Avant les années 60 en Afrique noire francophone, le décret pris par
             Laval en 1934, alors qu’il était ministre des Colonies, imposait une autori-
             sation administrative pour tourner des images. Les Africains n’avaient accès
             qu’à un miroir d’eux-mêmes idéologiquement chargé, réalisé par des ci-
             néastes coloniaux, des ethnologues ou des missionnaires. Les premiers ci-
             néastes africains doivent ainsi lutter contre la négation de soi colportée par
             les images coloniales où les Africains sont le décor d’une Histoire qui se
             fait malgré eux, ou bien les « insectes » que dénoncent Sembène Ousmane
             et Med Hondo. Ils font un cinéma militant, mais pas un « cinéma de pan-
             carte », conscients de la nécessité de toucher un public peu sensible aux
             slogans. Dénonçant aussi bien les coutumes obsolètes que les élites cor-
             rompues, leur programme est de remplacer « civilisation » par « progrès »,
             c’est-à-dire de résister aux manipulations et aux arriérations. Leur cinéma
             se veut décolonisation du regard et de la pensée, reconquête de son espace
             et de son image de soi, mais il est aussi affirmation culturelle. Cherchant à
             se réapproprier et à transmettre les valeurs fondatrices d’une nouvelle so-
             ciété, il charge volontiers ses fictions d’un regard documentaire.

                Même chose au Maghreb qui devra se débarrasser de la vision orienta-
             liste du cinéma d’avant les indépendances pour restaurer sa propre socio-
             logie  et sa culture. Les  protectorats en  Tunisie  et au Maroc  ayant
             relativement respecté la langue arabe et les systèmes socio-éducatifs tradi-
             tionnels, le cinéma des pionniers a moins pour mission de rompre avec l’as-
             similation  que le cinéma de ce  département  français  qu’était devenu
             l’Algérie. Ils ont par contre tous le fardeau d’inverser l’amnésie générale
             sur l’histoire coloniale et les luttes de libération. Tandis qu’Omar Khlifi
             met en scène dans L’Aube (El Fajr, 1966) les événements insurrectionnels
             qui ont amené l’indépendance de la Tunisie, le cinéma algérien va s’appe-
             santir sur la guerre de libération avec Patrouille à l’Est (amar laskri, 1971)
             ou Le Vent des Aurès (Mohamed Lakhdar Hamina, 1967), prolongé
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