Page 30 - Livre2_NC
P. 30

Roy Armes / Le cinéma colonial                                21

          trêmement élevé de la minorité blanche privilégiée par des lois raciales très
         honteuses  ». Raeburn caractérise la centaine de longs métrages tournés de-
                  20
          puis 1945 comme « de pâles imitations des archétypes anglo-américains  ».
                                                                        21
          Il note une ressemblance frappante avec le cinéma colonial occidental : « dans
         les films blancs, les non-Blancs ne sont que des figurants. Si le scénario
         exige qu'un non-Blanc parle à un Blanc ou le touche, le rôle doit être joué
         par un Blanc noirci  ».
                           22
                   Le seul long métrage sud-africain à connaître un succès interna-
         tional est Les Dieux sont tombés sur la tête / The Gods Must Be Crazy
          (1980), réalisé par l'un des plus grands réalisateurs sud-africains, Jamie
          (Jacobus Johannes) Uys. Ancien instituteur, Uys était actif en tant que réa-
          lisateur depuis trente ans et devait recevoir en 1983 la plus haute distinction
          civile d'Afrique du Sud, l'Ordre du Mérite, pour services rendus à l'industrie
          cinématographique . En apparence, le film, connu en France sous le titre
                          23
          de Les Dieux sont tombés sur la tête; n'est qu'une comédie très amusante
         sur un bushman! Ky, qui entreprend de rapporter une bouteille de Coca vide
          qu'il pense être un cadeau des dieux. L'autre volet de l'intrigue concerne un
         scientifique blanc (dont la spécialité est la bouse d'éléphant), qui implique!
         Ky dans ses efforts pour aider à sauver une institutrice blanche qui a été
         kidnappée, avec sa classe d'écoliers noirs par un chef de guérilla noir. Bien
         que le film soit apparemment inoffensif, se moquant des noirs comme des
         blancs, il est en fait, comme le note le documentariste anglais Peter Davis,
         « dans l'esprit de l'apartheid  ».
                                  24
                   Le film se fait passer pour une production botswanaise, mais le
          « Botswana » où les bushmen mènent leur vie idyl- lique, ne ressemble en
          rien  à  la  véritable  république  enclavée  du  même  nom.  De manière
          significative, le film n'aurait pas pu se dérouler en Afrique du Sud, car les
          lois sur les laissez-passer limitant la circulation des noirs y au- raient rendu
          son  intrigue  impossible.  Le commentaire  accompagnant le  voyage
          d'ouverture est très condescendant et le nom du méchant guérillero noir,
          Sam Boca, a de curieuses connotations, puisque le sambok est le fouet en
          cuir régulièrement utilisé  par  la  police  blanche sud-africaine pour dis-
          perser les manifestations noires.
         Le nom rappelle également celui de Sam Nujoma, chef de file du mouve-
         ment de libération de la SWAPO en Namibie voisine, et le film a d'ailleurs
         des échos troublants de la situation politique réelle dans ce pays, puisque
         les autorités sud-africaines avaient enrôlé les bushmen dans leur lutte contre
         la SWAPO  . Davis conclut que, quelles que soient ses intentions, Uys a
                    25
         créé « un pays imaginaire auquel les architectes de l'apartheid voudraient
         que nous croyions, une Afrique du Sud bien intentionnée pour tous  ». Si
                                                                     26
         l'on lit l'intrigue de manière métaphorique, elle montre que « les noirs sont
   25   26   27   28   29   30   31   32   33   34   35