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Roy Armes / Le cinéma colonial 21
trêmement élevé de la minorité blanche privilégiée par des lois raciales très
honteuses ». Raeburn caractérise la centaine de longs métrages tournés de-
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puis 1945 comme « de pâles imitations des archétypes anglo-américains ».
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Il note une ressemblance frappante avec le cinéma colonial occidental : « dans
les films blancs, les non-Blancs ne sont que des figurants. Si le scénario
exige qu'un non-Blanc parle à un Blanc ou le touche, le rôle doit être joué
par un Blanc noirci ».
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Le seul long métrage sud-africain à connaître un succès interna-
tional est Les Dieux sont tombés sur la tête / The Gods Must Be Crazy
(1980), réalisé par l'un des plus grands réalisateurs sud-africains, Jamie
(Jacobus Johannes) Uys. Ancien instituteur, Uys était actif en tant que réa-
lisateur depuis trente ans et devait recevoir en 1983 la plus haute distinction
civile d'Afrique du Sud, l'Ordre du Mérite, pour services rendus à l'industrie
cinématographique . En apparence, le film, connu en France sous le titre
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de Les Dieux sont tombés sur la tête; n'est qu'une comédie très amusante
sur un bushman! Ky, qui entreprend de rapporter une bouteille de Coca vide
qu'il pense être un cadeau des dieux. L'autre volet de l'intrigue concerne un
scientifique blanc (dont la spécialité est la bouse d'éléphant), qui implique!
Ky dans ses efforts pour aider à sauver une institutrice blanche qui a été
kidnappée, avec sa classe d'écoliers noirs par un chef de guérilla noir. Bien
que le film soit apparemment inoffensif, se moquant des noirs comme des
blancs, il est en fait, comme le note le documentariste anglais Peter Davis,
« dans l'esprit de l'apartheid ».
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Le film se fait passer pour une production botswanaise, mais le
« Botswana » où les bushmen mènent leur vie idyl- lique, ne ressemble en
rien à la véritable république enclavée du même nom. De manière
significative, le film n'aurait pas pu se dérouler en Afrique du Sud, car les
lois sur les laissez-passer limitant la circulation des noirs y au- raient rendu
son intrigue impossible. Le commentaire accompagnant le voyage
d'ouverture est très condescendant et le nom du méchant guérillero noir,
Sam Boca, a de curieuses connotations, puisque le sambok est le fouet en
cuir régulièrement utilisé par la police blanche sud-africaine pour dis-
perser les manifestations noires.
Le nom rappelle également celui de Sam Nujoma, chef de file du mouve-
ment de libération de la SWAPO en Namibie voisine, et le film a d'ailleurs
des échos troublants de la situation politique réelle dans ce pays, puisque
les autorités sud-africaines avaient enrôlé les bushmen dans leur lutte contre
la SWAPO . Davis conclut que, quelles que soient ses intentions, Uys a
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créé « un pays imaginaire auquel les architectes de l'apartheid voudraient
que nous croyions, une Afrique du Sud bien intentionnée pour tous ». Si
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l'on lit l'intrigue de manière métaphorique, elle montre que « les noirs sont