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l'Est 32 ». La Bank Misr étant la première banque égyptienne, l'industrie ci-
nématographique est au cœur du développement du capitalisme égyptien, comme
l'explique Patrick Clawson:
La Bank Misr a été créée précisément pour encourager l'industrie locale… Grâce à des
entreprises telles que l'une des plus grandes usines textiles du monde, des presses
d'imprimerie, des fabriques de boutons, des filatures de lin, la Bank Misr a dominé l'ensemble
de l'économie égyptienne jusqu'à sa natio- nalisation en 1960 .
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Un an plus tard, l'industrie cinématographique elle-même a été
nationalisée, pour devenir l'Organisation générale du Cinéma égyptien.
Dans sa préface à un ouvrage célébrant les 100 ans du cinéma égyptien, Magda
Wassef relève l'existence de 3 000 longs métrages de fic- tion auxquels des millions
d'arabes ont pu s'identifier: « Quelques douzaines de titres inoubliables, des cinéastes
hors du commun et, surtout, un impact qui dépasse l'objectif fixé au départ: le
divertissement . A travers ses stars et ses chanteurs, le cinéma égyptien est devenu
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« un objet de désir et de fierté pour les arabes. Grâce à lui, ils se sentent réconciliés
avec leur iden- tité, ridiculisée et écrasée par la présence coloniale destructrice et
souvent castratrice ». Le genre dominant en Égypte, le mélodrame, mérite que l'on
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s'y attarde brièvement, non pas en raison de son influence directe sur les cinéastes
de l'après-indépendance ailleurs en Afrique, qui a été prati- quement nulle, mais en
tant que contraste fascinant avec le film colonial européen, et comme une autre sorte
de ligne de base par rapport à laquelle les approches particulières des cinéastes de
l'après-indépendance au nord et au sud du Sahara peuvent être évaluées. C'est la
forme par laquelle tous les futurs cinéastes arabes ont découvert le cinéma dans leur
enfance.
Trois caractéristiques fondamentales du mélodrame sont com- munes au
film égyptien et au film colonial européen ou hollywoodien. La première est l'accent
mis sur l'intensité émotionnelle et les événements ca- lamiteux sur lesquels, dans une
perspective égyptienne, Ali Abu Shadi at- tire l'attention. Les intrigues sont «
marquées par le mouvement soudain entre des situations hautement exagérées dans
lesquelles la coïncidence joue un rôle majeur », et le style mélodramatique
« utilise l'émotivité dans l'écriture et la mise en scène et exploite tout dispositif pour
manipuler les sentiments du public ». Le deuxième élément partagé avec le film
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colonial est l'utilisation d'une « succession de stéréotypes et de clichés », et de
personnages dont la progression et les relations sont structurées de manière à
répondre aux besoins de schémas dramatiques accessibles .
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Le troisème élément partagé est le monde manichéen, que Khémais Khayati
considère comme particulièrement caractéristique du cinéma égyptien : « Il y a le bien
et le mal. Il y a Dieu et le Diable. Entre eux, aucune réconciliation n'est possible.
Les valeurs sont totales et jamais relatives... Rien n'usurpe le ca- ractère absolu de
Dieu ». Le public, en Occident comme dans le monde arabe, trouve un immense
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réconfort dans ce monde en noir et blanc, fait de certitudes totales. Nous savons
comment les gens doivent se comporter et pouvons apprécier lorsque les normes
acceptées sont violées. Il n'y a aucune ambiguïté sur la façon dont le monde devrait