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                      Cette ligne de questionnement qui cherche à problématiser les re-
             présentations « authentiques » versus « inauthentiques » du cinéma africain
             peut s'appliquer également à Sarah Maldoror, une cinéaste d'origine an-
             tillaise, mariée à un citoyen angolais, mais dont l'œuvre majeure portait sur
             l'Afrique. Bien que son film Sambizanga (1972) l'ait établie comme une ci-
             néaste majeure qui a le mieux représenté la libération angolaise, l'esthétique
             nationaliste, et qu'elle ait été systématiquement discutée dans les études sur
             le cinéma africain, elle a été exclue de la réunion des professionnelles du
             cinéma  au  FESPACO  en  1991  .  Qu'est-ce  qui,  alors,  fait  de  Sarah
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             Maldoror  une  cinéaste  «  africaine  »  ou,  inversement,  lui  refuse  cette
             appellation? Si l’« africanité » de Safi Faye ne semble guère faire de doute,
             parce qu'elle est noire et originaire du Sénégal, on est en droit de se demander
             dans quelle mesure ses Ambassadrices se nourrissent (1984), par exemple,
             sont « afri-  caines » en tant que film sur les restaurants chinois, indiens,
             hongrois et au- tres restaurants « ethniques » de Paris.
                     Outre le questionnement de Diawara et le mien, Olivier barlet,
             en réaction à la multiplication des films sur l'immigration africaine en Eu-
             rope, a posé cette question clé: « Les nouveaux films d'Afrique sont-ils afri-
             cains  » ? C'est une question à laquelle il ne répond pas explicitement mais
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             qui est centrale pour la compréhension de cet essai du cinéma ou plutôt des
             cinémas « africains ». Ce qui est en jeu dans les préoccupations de Diawara
             et de Barlet, c'est la définition même et l'identité, ou la pluralité d'identités,
             de ce que l'on entend par cinéma africain dans sa forme singulière. Qu'est-
             ce exactement que le cinéma africain ? Ou plutôt, faut-il parler de cinémas
             africains ? Dans quelle mesure les films réalisés par des cinéastes africains
             sont-ils « africains » par rapport à ceux des européens dont les œuvres ont
             choisi l'Afrique comme catégorie de représentation ? Une citoyenneté ciné-
             matographique ou culturelle est-elle envisageable, et peut-on la définir par
             rapport à la nationalité civile ? Une identité culturelle est-elle concevable,
             et pourrait-on la définir par rapport à un cadre national, continental ou racial
             spécifique? Est-il possible de déterminer sans équivoque, de manière co-
             hérente et acceptable, les constituants fondamentaux d'un « cinéma africain
             »? La pluralité des cinémas doit-elle, comme le suggère Samuel Lelièvre,
             être  examinée sur la  base  des sources  de  financement externes (versus
             internes inexistantes) dont disposent les cinéastes africains  ?
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                     Pour compliquer encore les choses, on peut aussi considérer la lo-
             calisation des réalisateurs, la production mondiale de nombreux films « afri-
             cains » et les multiples publics qui constituent l'audience de ces films. Par
             exemple, comment en arrive-t-on à considérer Haile Gerima, Jean-marie
             Teno et Jean-Pierre Bekolo, tous basés en Occident depuis des années,
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