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Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains 295
comme des réalisateurs « africains » ? Par ailleurs, quels sont les spectateurs
qu'ils ciblent (avec succès)? Où et comment ces films sont-ils distribués ?
Quel est le paramètre le plus efficace pour déterminer et conceptualiser les
films « africains »?
Selon Georges Sadoul, par exemple , un film n'est « africain » que s'il est
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produit, réalisé, distribué et monté par des africains, avec des acteurs afri-
cains parlant des langues africaines . Une telle définition exclurait de nom-
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breux films qui, comme ceux dont parle Diawara, peuvent être considérés
comme « africains »: Bronx Barbès (2000, France) d'Éliane De Latour;
Lumumba (2001) de Raoul Peck; ou Chocolat (1987, France et Came-
roun) de Claire Denis.
Les critères économiques de Sadoul et de Lelièvre impliqueraient égale-
ment qu'aucun film produit par des réalisateurs africains au cours des cin-
quante dernières années ne puisse être considéré comme « africain »,
puisqu'ils ont tous été financés principalement par des agences européennes
externes. Le problème de cette définition, comme de la composante raciale
impliquée dans l'enquête de Diawara, est qu'il est difficile d'avoir une théo-
risation rigoureuse du concept de « cinéma africain »; les concepts dispo-
nibles semblent imparfaits et problématiques, car les configurations
critiques vont de l'essentialisme aux considérations raciales ou géogra-
phiques.
La première conceptualisation du cinéma « africain » est probable-
ment celle de Paulin Soumanou Vieyra, qui associe le cinéma à la citoyen-
neté lorsqu'il affirme, de manière plutôt simpliste, que pour qu'un film soit
« africain », il doit être réalisé par un Africain:
Pour qu'un film soit africain, suffit-il qu'il soit réalisé par un africain? Certai-
nement, car lorsqu'un film se distingue par son rapport à la civilisation africaine,
il peut être qualifié d'africain. Cela signifie qu'un film réalisé par un africain
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sur l'Europe est africain dès lors qu'il révèle une façon de penser noire .
Vieyra complique encore cette affirmation en ajoutant, dans une
note de bas de page, que quels que soient les mérites d'un film sur l'Afrique
réalisé par un non-africain, il le qualifie de « film d'inspiration africaine »,
une prémisse qui disqualifierait automatiquement des réalisateurs comme
Sarah Maldoror ou Raoul Peck qui sont trop souvent, presque intuitive-
ment, considérés comme « africains ». Sa définition significativement ex-
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clusiviste est basée sur des manifestations culturelles de la vie africaine
portées à l'écran dans des modes généralement réalistes et, en tout cas, qui
n'impliquent que des récits sur la culture et l'art noirs. L'hypothèse cultura-