Page 308 - Livre2_NC
P. 308

Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains                      299

            également être solidaire des luttes culturelles menées dans le monde entier.
            Il s'agit de permettre aux masses de prendre en main leurs propres moyens de
            développement, en leur rendant l'initiative culturelle en s'appuyant sur les res-
            sources d'une créativité populaire pleinement libérée. Dans cette perspective, le
            cinéma a un rôle essentiel à jouer car il est un moyen d'éducation, d'information
            et de conscientisation. L'image stéréotypée du créateur solitaire et marginal, ré-
            pandue dans la société capitaliste occidentale, doit être rejetée par les cinéastes
            africains qui doivent, au contraire, se considérer comme des artisans créateurs
            au service de leur peuple. Elle exige également une grande vigilance de leur part
            face aux tentatives de récupération idéologique de l'impérialisme qui redouble
            d'efforts pour maintenir, renouveler et accroître son ascendant culturel  .
                                                                     16

                 Ce nationalisme est repris par au moins deux universitaires, prin-
          cipalement Nwachuku Frank Ukadike et Férid Boughedir. Boughedir,
         par exemple, fournit une typologie remarquablement simpliste qui définit
         le cinéma africain en opposition au cinéma « occidental »,
            qui est réputé être le cinéma d'évasion, le cinéma évasif qui fonctionne en de-
            hors de la vie réelle et des problèmes de la vie réelle. C'est le cinéma de l'opium;
            c'est le cinéma qui endort le public. 90% des cinémas commerciaux fonction-
            nent de cette manière, ce qui explique pourquoi le cinéma est universellement
            considéré comme un divertissement. Divertir signifie également détourner ou
            éloigner le public de la réalité, lui accorder une évasion momentanée qui retarde
            le processus de conscientisation  .
                                      17

                 Il est fort probable que cette perception discutable du cinéma ait
         distingué certains films comme ne relevant pas vraiment du cinéma «
         afri- cain ». On sait que Bal Poussière / Dancing in the Dust (1988, Côte
         d'Ivoire),  comédie  populaire  d'Henri  Duparc,  a  connu  un  succès
         spectacu- laire dès sa sortie. Cependant, elle est sévèrement critiquée par
         Ukadike dans les termes suivants : « En apparence, Bal Poussière est
         une comédie sociale sur la polygamie, qui fait référence à la corruption,
         aux contradic- tions de la tradition et de la culture, mais qui ne peut pas être
         prise au sérieux  car les sujets sont traités avec une seule idée en tête  :
         l'amusement  ».  L'opinion  d'Ukadike  est  basée  sur  la  déduction,
                      18
         probablement héritée des règles de la FEPACI, que le rôle du cinéma en
         Afrique n'est certainement pas d'amuser les spectateurs. Plus important
         encore,  mais  également un point  de  discorde,  est  la  conjecture  selon
         laquelle chaque film a une fonction « superficielle » et
         « plus profonde » qui est le résultat des intentions du cinéaste. Nous
         pouvons donc présumer que si la fonction « profonde » est amusante,
         alors  toute  fonction  alternative  et  coexistante  doit  être  invalidée. De
         même, Boughedir rejette le genre de la comédie, qui, selon lui, est in-
         compatible avec tout projet de film africain, car « 'idéologie implicite
         de
   303   304   305   306   307   308   309   310   311   312   313