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Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains 301
Comme le dit Diawara, « c'est un cinéma du bien et du mal où la caméra
est tournée contre les forces coloniales et néocoloniales en Afrique ». Que
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l'on considère Black Girl (1966, Sénégal), Emitaï (1971, Sénégal) ou Camp
de Thiaroye (1988, Sénégal) d'Ousmane Sembène, Sarraounia (1987) de
med Hondo, Heritage Africa (1988, Ghana) de Kwaw Ansah, Sambizanga
(1972) de Sarah Maldoror, ou encore Chronique des années de braise /
Chronicle of the Years of Fire (1975, Algérie) de Mohamed Lakhdar-
Hamina, tous ces récits relèvent de stratégies révisionnistes visant à
contribuer à l'émancipation des ex-colonies. Malheureusement, il n'a pas
fallu long- temps pour se rendre compte que la construction de la nation et
les luttes pour la liberté politique étaient loin d'être entièrement couronnées
de succès. Comme l'affirme Neil Lazarus, les mouvements de libération
nationale n'étaient pas ce qu'on attendait d'eux ou ce qu'ils prétendaient être,
à savoir des organisations visant à donner du pouvoir aux populations
dominées . Au lieu de cela, selon Frantz Fanon, le principal projet des
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nationalistes bourgeois locaux était « tout simplement de transférer aux
mains des au- tochtones les avantages injustes qui sont l'héritage de la
période coloniale ». Un film comme Xala (de Ousmane Sembène, 1975,
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Sénégal) illustre parfaitement les échecs postcoloniaux qui ont suivi
l'ascension des élites africaines au pouvoir politique, à savoir les résultats
transformateurs tant attendus du nationalisme euphorique. C'est pourquoi
les films et la littérature post-indépendance sont restés aussi militants qu'ils
l'étaient pendant le colonialisme. En d'autres termes, la perception du
cinéma « africain » en tant que praxis idéologique est restée inchangée, mais
pour des raisons dif- férentes.
Comme on l'a vu plus haut, selon les cinéastes nationalistes, le ci-
néma en Occident sert à distraire, au sens pascalien du terme. Il est impor-
tant en Afrique, malgré la terreur coloniale, d'utiliser le cinéma pour
« convertir » les masses à l'action politique. L'expérience cinématogra-
phique, à ses débuts, est idéologique avant d'être artistique. Parce que les
indépendances ont généré des désillusions inattendues, des cinéastes habi-
tués à contester le colonialisme se sont retrouvés à dénoncer les dirigeants
post-indépendance. Ce faisant, certains ont fondé leur fonction sociale sur la
reproduction d'une figure traditionnelle, celle du griot ou du barde. Pour des
cinéastes tel que Ousmane Sembène, la production cinématographique est
une action politique inspirée du rôle du griot, qui consiste essentielle- ment
à dénoncer les vices de la société (néo)coloniale. Le cinéma est avant tout une
entreprise de dévoilement. C'est pourquoi Françoise Pfaff écrit que
Sembène est « un griot des temps modernes ».
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