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             Le réalisateur sénégalais associe clairement son rôle aux traditions orales
             africaines :
                L'artiste doit à bien des égards être la bouche et les oreilles de son peuple. Au
                sens moderne, cela correspond au rôle du griot dans la culture traditionnelle
                africaine. L'artiste est comme un miroir. Son œuvre reflète et synthétise les pro-
                blèmes, les espoirs et les luttes de son peuple  .
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                     Outre les déterminants discursifs et idéologiques des films afri-
             cains, il existe également des caractéristiques formelles qui ont tendance à
             être associées au cinéma « africain ». Le griot ou le conteur est avant tout
             un maître de la parole. Cependant, des films comme Wend Kuuni (de Gas-
             ton Kaboré, 1982, Burkina Faso), Keïta ! L'Héritage du griot (de Dani
             Kouyaté, 1995, Burkina Faso), La Genèse (de Cheick Oumar Sissoko,
             1999, Mali et France), Afrique je te plumerai/Africa I will Fleece You (de
             Jean-Marie Teno, 1991), ou Ndeysaan, Le prix du pardon/Ndeysaan, The
             Price of Forgiveness (de Mansour Sora Wade, 2001, France et Sénégal),
             pour ne citer que quelques titres, que la performance et l'esthétique orales
             africaines ont influencé de manière significative la construction formelle
             de plusieurs films. Comme le montrent amplement les études de Mbye
             Cham, Manthia Diawara, Nwachukwu Frank Ukadike et moi-même
             Alexie Tcheuyap, les traditions orales africaines ont abondamment déter-
             miné  le  langage  esthétique  du  cinéma  en  Afrique  subsaharienne.  Par
             exemple, l'examen convaincant de Xala par Ukadike illustre que le récit
             de  Sembène  est  «  une comédie racontée dans  la  tradition  typique des
             contes africains pour illustrer un simple conte moral  ». Quant à Manthia
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             Diawara, il montre comment les modèles formels sont inspirés par les
             tradi- tions orales. Il apparaît donc que l'identité et la culture ont été (et
             restent) utiles à la lecture de plusieurs films africains.

                     Cependant, malgré  son  utilité,  l'utilisation des traditions  orales
             comme base principale (et unique ?) de lecture du cinéma africain, surtout
             aujourd'hui, peut également être très controversée. Par exemple, est-il tout
             à fait approprié d'affirmer, comme le fait Ukadike, que les films des années
             1970 et 1980 sont enracinés dans des stratégies narratives traditionnelles
             « vers lesquelles presque tous les cinéastes se tournent aujourd'hui et aux-
             quelles on attribue le niveau de [leur] maturité  30   » ? Existe-t-il une telle
             herméneutique « africaine » dans les récits postcoloniaux « noirs » qui sont
             censés être construits autour des « traditions africaines » et des formes qui
             utilisent les associations culturelles « d'une manière unique qu'aucun étran-
             ger n'est capable de fournir  31   ». Comme indiqué ci-dessus, il est utile de
             considérer  le  rôle  du  griot  dans  les  constructions  formelles  des  récits,
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