Page 311 - Livre2_NC
P. 311
302 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
Le réalisateur sénégalais associe clairement son rôle aux traditions orales
africaines :
L'artiste doit à bien des égards être la bouche et les oreilles de son peuple. Au
sens moderne, cela correspond au rôle du griot dans la culture traditionnelle
africaine. L'artiste est comme un miroir. Son œuvre reflète et synthétise les pro-
blèmes, les espoirs et les luttes de son peuple .
28
Outre les déterminants discursifs et idéologiques des films afri-
cains, il existe également des caractéristiques formelles qui ont tendance à
être associées au cinéma « africain ». Le griot ou le conteur est avant tout
un maître de la parole. Cependant, des films comme Wend Kuuni (de Gas-
ton Kaboré, 1982, Burkina Faso), Keïta ! L'Héritage du griot (de Dani
Kouyaté, 1995, Burkina Faso), La Genèse (de Cheick Oumar Sissoko,
1999, Mali et France), Afrique je te plumerai/Africa I will Fleece You (de
Jean-Marie Teno, 1991), ou Ndeysaan, Le prix du pardon/Ndeysaan, The
Price of Forgiveness (de Mansour Sora Wade, 2001, France et Sénégal),
pour ne citer que quelques titres, que la performance et l'esthétique orales
africaines ont influencé de manière significative la construction formelle
de plusieurs films. Comme le montrent amplement les études de Mbye
Cham, Manthia Diawara, Nwachukwu Frank Ukadike et moi-même
Alexie Tcheuyap, les traditions orales africaines ont abondamment déter-
miné le langage esthétique du cinéma en Afrique subsaharienne. Par
exemple, l'examen convaincant de Xala par Ukadike illustre que le récit
de Sembène est « une comédie racontée dans la tradition typique des
contes africains pour illustrer un simple conte moral ». Quant à Manthia
29
Diawara, il montre comment les modèles formels sont inspirés par les
tradi- tions orales. Il apparaît donc que l'identité et la culture ont été (et
restent) utiles à la lecture de plusieurs films africains.
Cependant, malgré son utilité, l'utilisation des traditions orales
comme base principale (et unique ?) de lecture du cinéma africain, surtout
aujourd'hui, peut également être très controversée. Par exemple, est-il tout
à fait approprié d'affirmer, comme le fait Ukadike, que les films des années
1970 et 1980 sont enracinés dans des stratégies narratives traditionnelles
« vers lesquelles presque tous les cinéastes se tournent aujourd'hui et aux-
quelles on attribue le niveau de [leur] maturité 30 » ? Existe-t-il une telle
herméneutique « africaine » dans les récits postcoloniaux « noirs » qui sont
censés être construits autour des « traditions africaines » et des formes qui
utilisent les associations culturelles « d'une manière unique qu'aucun étran-
ger n'est capable de fournir 31 ». Comme indiqué ci-dessus, il est utile de
considérer le rôle du griot dans les constructions formelles des récits,