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                Quand on décide de faire de la fiction, on en prend la responsabilité et on dit
                qu'on la fait pour soi, que ce n'est pas forcément un luxe, qu'elle peut ouvrir
                une possibilité de rêve pour la jeunesse africaine  !
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              Jean-Pierre bekolo est également clair sur cette question :
                Pourquoi faire des films si les gens ne vont pas les voir ? La plupart [de mes
                étudiants] pensent que la plupart des films africains sont comme des outils d'en-
                seignement et c'est pourquoi j'ai commencé à avoir des problèmes avec cette
                définition. Le film est un moyen d'expression et une forme d'art. Je ne sais pas
                si les réalisateurs africains peuvent utiliser le cinéma pour enseigner, ou s'ils
                ont la bonne formation. Je pense que nous n'avons pas le droit d'enseigner,
                même si nous avons le sentiment d'avoir appris quelque chose. Le film pourrait
                être un bon support pour un type d'éducation différent de l'enseignement. Je ne
                prétends pas être un enseignant. Je ne sais pas très bien comment le faire  .
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                     Dans un entretien avec Michael T. Martin, le réalisateur sénégalais
             Joseph Gai Ramaka est loin d'être enthousiaste ou élogieux à l'égard d'un
             cinéma qui ne se soucie que d'un agenda politiquement motivé. Il est très
             sceptique quant aux revendications nationalistes devenues incertaines dans
             un monde de circulations transnationales :
                 Je n'appartiens à aucune organisation ou structure cinématographique, africaine
                ou non-africaine. Je me considère comme un être humain global et non par rap-
                port à une nation. Je m'intéresse aux choses qui sont faites par un individu. Mes
                préoccupations ne sont pas en tant que cinéaste, mais plutôt en tant que citoyen
                qui se trouve être cinéaste. Je ne conçois pas mon engagement pour la justice
                sociale en tant que cinéaste. Je ne suis pas un cinéaste engagé. Je suis un citoyen
                ordinaire engagé. Je veux que la base, le policier, le cinéaste, l'administrateur
                et le juge soient engagés en tant que citoyens conscients d'eux-mêmes  .
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                     Les  déclarations  ci-dessus  de  Ramaka,  Bekolo,  Ngangura  et
             Ouédraogo  indiquent qu'il y a  un changement  dans le paradigme  et la
             praxis cinématographique postcoloniale contemporaine. Les cinéastes se
             considè- rent désormais comme des citoyens du monde et ne se sentent pas
             obligés d'être les ambassadeurs de valeurs ou de cultures « africaines »
             spécifiques. Comme plusieurs autres, surtout depuis les années 1990, ces
             réalisateurs  ont  abandonné  l'esthétique  idéologiquement  orientée  des
             cinéastes africains pionniers, qu'ils critiquent sévèrement. Ils ont imaginé
             des stratégies esthé- tiques et narratives innovantes, mieux adaptées à la
             communication  de contextes  culturels sociopolitiques  de  plus en  plus
             complexes. Alors que les cinéastes pionniers se concentraient de manière
             obsessionnelle  sur  une critique de  l'Afrique  (post)coloniale ou  sur  la
             réhabilitation d'une  identité  mutilée et  d'une  histoire  déformée,  les
             réalisateurs d'après 1990 dépassent
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