Page 315 - Livre2_NC
P. 315
306 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
Quand on décide de faire de la fiction, on en prend la responsabilité et on dit
qu'on la fait pour soi, que ce n'est pas forcément un luxe, qu'elle peut ouvrir
une possibilité de rêve pour la jeunesse africaine !
41
Jean-Pierre bekolo est également clair sur cette question :
Pourquoi faire des films si les gens ne vont pas les voir ? La plupart [de mes
étudiants] pensent que la plupart des films africains sont comme des outils d'en-
seignement et c'est pourquoi j'ai commencé à avoir des problèmes avec cette
définition. Le film est un moyen d'expression et une forme d'art. Je ne sais pas
si les réalisateurs africains peuvent utiliser le cinéma pour enseigner, ou s'ils
ont la bonne formation. Je pense que nous n'avons pas le droit d'enseigner,
même si nous avons le sentiment d'avoir appris quelque chose. Le film pourrait
être un bon support pour un type d'éducation différent de l'enseignement. Je ne
prétends pas être un enseignant. Je ne sais pas très bien comment le faire .
42
Dans un entretien avec Michael T. Martin, le réalisateur sénégalais
Joseph Gai Ramaka est loin d'être enthousiaste ou élogieux à l'égard d'un
cinéma qui ne se soucie que d'un agenda politiquement motivé. Il est très
sceptique quant aux revendications nationalistes devenues incertaines dans
un monde de circulations transnationales :
Je n'appartiens à aucune organisation ou structure cinématographique, africaine
ou non-africaine. Je me considère comme un être humain global et non par rap-
port à une nation. Je m'intéresse aux choses qui sont faites par un individu. Mes
préoccupations ne sont pas en tant que cinéaste, mais plutôt en tant que citoyen
qui se trouve être cinéaste. Je ne conçois pas mon engagement pour la justice
sociale en tant que cinéaste. Je ne suis pas un cinéaste engagé. Je suis un citoyen
ordinaire engagé. Je veux que la base, le policier, le cinéaste, l'administrateur
et le juge soient engagés en tant que citoyens conscients d'eux-mêmes .
43
Les déclarations ci-dessus de Ramaka, Bekolo, Ngangura et
Ouédraogo indiquent qu'il y a un changement dans le paradigme et la
praxis cinématographique postcoloniale contemporaine. Les cinéastes se
considè- rent désormais comme des citoyens du monde et ne se sentent pas
obligés d'être les ambassadeurs de valeurs ou de cultures « africaines »
spécifiques. Comme plusieurs autres, surtout depuis les années 1990, ces
réalisateurs ont abandonné l'esthétique idéologiquement orientée des
cinéastes africains pionniers, qu'ils critiquent sévèrement. Ils ont imaginé
des stratégies esthé- tiques et narratives innovantes, mieux adaptées à la
communication de contextes culturels sociopolitiques de plus en plus
complexes. Alors que les cinéastes pionniers se concentraient de manière
obsessionnelle sur une critique de l'Afrique (post)coloniale ou sur la
réhabilitation d'une identité mutilée et d'une histoire déformée, les
réalisateurs d'après 1990 dépassent