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Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains                      311

          « proliférations » par lesquelles la « nouvelle race » de cinéastes « exoti-
          sent » désespérément leur travail pour l'exporter sur les marchés étrangers.
         Bien que plusieurs chercheurs fassent l'éloge des transformations formelles
          dans les récits contemporains, ces aspirations à un langage et à un discours
         alternatif restent discutables car « certaines des conventions utilisées pour
          atteindre ces aspirations ont, cependant, été détournées  ». Il a été dit plus
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         haut que Mwezé Ngangura et plusieurs autres réalisateurs méprisent le di-
          dactisme, le cinéma de « brousse » ou de « calebasse » avec peu ou pas de
          traits esthétiques élaborés. Cependant, pour Manthia Diawara, les expéri-
          mentations formelles ne sont rien d'autre qu'un simple « recours à un for-
          malisme eurocentrique, qui réprime le contenu de leurs vies et privilégie la
         position des spectateurs occidentaux dans les festivals de cinéma d'art  ».
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          L'implication du point de vue ci-dessus est qu'il y a quelque chose d'intrin-
         sèquement mauvais avec le cinéma commercial, la légitimation européenne
         et le divertissement. Cela implique également que le cinéma « africain »
         est perçu comme ne contenant aucune construction formelle (c'est-à-dire
         européenne), et que toute tentative de sophistication esthétique est motivée
         par le besoin de plaire aux spectateurs étrangers.
                 En dépit de la « résistance » de ces critiques, probablement motivée
         par ce que Paul Gilroy appelle une « vision ontologique essentialiste [qui]
         a souvent été caractérisée par un panafricanisme brutal », les réalisateurs
         contemporains offrent de nombreuses preuves que la perception monoli-
         thique du « cinéma africain », qui était forcément militante, est en voie d'ex-
         tinction  . Que le « cinéma africain » semble définitivement mort, on peut
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         le constater dans les œuvres Boubakar Diallo et de Mwezé Ngangura, et
         à la lumière de l'explosion des productions d'images au Nigeria, au Ghana,
         et dernièrement au Cameroun. La nécessité de remettre en cause toute on-
         tologie est parfaitement résumée par Essomba Toureur dans Le complot
         d'Aristote de Jean-Pierre Bekolo :
            Y a-t-il dans ce cinéma quelque chose qui ne soit pas africain ?
            La fantaisie, le mythe, nous les avons. Walt Disney, on a.
            Le Roi Lion, on a. Les massacres, nous avons.
            Comédiens, musique, nous avons. Paul Simon, nous avons.
            Aristote, Catharsis, et noix de kola, nous
            avons. Qu'est-ce que nous n'avons pas ?
                 Dans L'Afrique du futur, Jean-Pierre Bekolo pose une question
         essentielle dont la réponse implicite est négative : comment différencier ce
         qui est français ou américain de ce qui appartient à son monde africain ?
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         En d'autres termes, le cinéma africain d'aujourd'hui est-il ontologiquement
         différent des autres productions cinématographiques dominantes ?
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