Page 318 - Livre2_NC
P. 318
Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains 309
1970, Jean-Pierre Bekolo a démontré avec Quartier Mozart et plus récem-
ment avec Les Saignantes / Those Who Bleed (2005, France et Cameroun)
que les réalisateurs africains pouvaient à la fois faire preuve d'une créativité
exceptionnelle dans les constructions formelles et tirer parti des possibilités
désormais offertes au cinéma par les transformations technologiques. Mon-
tage rapide, jump cuts, éclairage sophistiqué, construction narrative com-
plexe, transformation complète de la psychologie des personnages,
intertextualité, effets visuels et spéciaux, ainsi que manipulation du bruit
sont désormais des caractéristiques essentielles de plusieurs de ses films.
Les récits sont désormais tournés loin de la « brousse » ou des villages secs
où les vieilles femmes à moitié nues, les animaux domestiques et sauvages,
ou les paysages arides sont utilisés pour constituer le seul et unique décor.
Une autre façon dont les réalisateurs contemporains ont réorienté
et redéfini le cinéma « africain » a été l'expérimentation et la prolifération
de nouveaux genres. David Murphy et Patrick Williams ont indiqué que
la recherche sur le cinéma africain est dominée par ce qu'ils appellent une
forme d'exceptionnalisme, un terme qu'ils utilisent pour indiquer que le ci-
néma africain est trop souvent évalué en des termes très différents de ceux
généralement vus dans les études cinématographiques ; les productions sont
considérées comme significativement séparées des autres formes d'expres-
sion cinématographique, mettant l'accent sur leur spécificité . Bien qu'un
49
tel paradigme puisse être valide, cet « exceptionnalisme » est, entre autres
catégories, caractérisé par le manque d'étude des genres dans le cinéma afri-
cain. La plupart des films africains sont avant tout « africains », mais rare-
ment des comédies, des films policiers, des mélodrames, des tragédies, des
westerns ou des comédies musicales, par exemple. Il est significatif que les
réalisateurs d'après 1990 semblent expérimenter davantage le cinéma de
nouveau genre. Bien que Les Saignantes soit rempli de légendes décrivant
l'impossibilité de développer des films de genre dans le Cameroun postco-
lonial chaotique et corrompu, ce film présente certainement des caractéris-
tiques des films policiers, de science-fiction, pornographiques et même
d'horreur. Africa Paradis de Sylvestre Amoussou (2006, France et Bénin)
appartient à la fois à la science-fiction et à la comédie. Ndeysaan, Tilaï et
Mossane sont des tragédies classiques. Karmen Gei et Madame Brouette
ne sont pas seulement des comédies musicales comme l'illustre Sheila
Petty, mais aussi, avec des films comme Guelwaar (de Sembène, 1992,
Sénégal) et même La noire de…, peuvent être interprétés comme des films
policiers.
L'essor et le développement du genre dans les films africains si-
gnale un changement dans la pratique artistique sur le continent où, pendant