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Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains                      309

         1970, Jean-Pierre Bekolo a démontré avec Quartier Mozart et plus récem-
          ment avec Les Saignantes / Those Who Bleed (2005, France et Cameroun)
          que les réalisateurs africains pouvaient à la fois faire preuve d'une créativité
          exceptionnelle dans les constructions formelles et tirer parti des possibilités
          désormais offertes au cinéma par les transformations technologiques. Mon-
          tage rapide, jump cuts, éclairage sophistiqué, construction narrative com-
          plexe,  transformation  complète  de  la  psychologie  des  personnages,
           intertextualité, effets visuels et spéciaux, ainsi que manipulation du bruit
           sont désormais des caractéristiques essentielles de plusieurs de ses films.
          Les récits sont désormais tournés loin de la « brousse » ou des villages secs
          où les vieilles femmes à moitié nues, les animaux domestiques et sauvages,
          ou les paysages arides sont utilisés pour constituer le seul et unique décor.
                 Une autre façon dont les réalisateurs contemporains ont réorienté
         et redéfini le cinéma « africain » a été l'expérimentation et la prolifération
         de nouveaux genres. David Murphy et Patrick Williams ont indiqué que
         la recherche sur le cinéma africain est dominée par ce qu'ils appellent une
         forme d'exceptionnalisme, un terme qu'ils utilisent pour indiquer que le ci-
         néma africain est trop souvent évalué en des termes très différents de ceux
         généralement vus dans les études cinématographiques ; les productions sont
         considérées comme significativement séparées des autres formes d'expres-
         sion cinématographique, mettant l'accent sur leur spécificité  . Bien qu'un
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         tel paradigme puisse être valide, cet « exceptionnalisme » est, entre autres
         catégories, caractérisé par le manque d'étude des genres dans le cinéma afri-
         cain. La plupart des films africains sont avant tout « africains », mais rare-
         ment des comédies, des films policiers, des mélodrames, des tragédies, des
         westerns ou des comédies musicales, par exemple. Il est significatif que les
         réalisateurs d'après 1990 semblent expérimenter davantage le cinéma de
         nouveau genre. Bien que Les Saignantes soit rempli de légendes décrivant
         l'impossibilité de développer des films de genre dans le Cameroun postco-
         lonial chaotique et corrompu, ce film présente certainement des caractéris-
         tiques des films  policiers, de  science-fiction, pornographiques et même
         d'horreur. Africa Paradis de Sylvestre Amoussou (2006, France et Bénin)
         appartient à la fois à la science-fiction et à la comédie. Ndeysaan, Tilaï et
         Mossane sont des tragédies classiques. Karmen Gei et Madame Brouette
         ne  sont pas  seulement des comédies musicales  comme  l'illustre  Sheila
         Petty, mais aussi, avec des films comme Guelwaar (de Sembène, 1992,
         Sénégal) et même La noire de…, peuvent être interprétés comme des films
         policiers.
                 L'essor et le développement du genre dans les films africains si-
         gnale un changement dans la pratique artistique sur le continent où, pendant
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