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304 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
Comme il le dit :
Je ne crois pas qu'il existe un langage cinématographique africain authentique,
qu'il soit défini en termes de points communs issus des luttes de libération
contre le colonialisme et l'impérialisme, de politique identitaire ou d'afrocen-
tricité. Il existe des variations, et même des contradictions, entre les langages
cinématographiques et les idéologies, qui sont attribuables aux cultures poli-
tiques dominantes dans chaque région, aux différences dans les modes de pro-
duction et de distribution, et aux particularités des cultures régionales .
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Cela est particulièrement vrai pour les films postérieurs à 1990, qui se
sont presque complètement éloignés des positions dogmatiques et de la rhé-
torique nationaliste des premiers récits. Ces récits, ainsi que l'érudition qui
les a examinés, ont créé l'illusion d'un cinéma « africain », c'est-à-dire d'un
cinéma de nationalisme affirmé ou d'anthropologie culturelle, qui était ex-
cellent pour les programmes de télévision occidentaux exotiques. Contrai-
rement à ce que les journalistes et les critiques ont eu tendance à croire,
malgré l'engagement de la plupart des réalisateurs dans les luttes politiques,
il y avait aussi beaucoup de films et de réalisateurs africains avec des agen-
das non politiques. Ils ont développé des genres qui visaient essentiellement
à divertir des spectateurs en mal d'amusement. Par exemple, comment se
fait-il qu'un pays comme la Côte d'Ivoire n'ait jamais développé un cinéma
de contestation systématique (et systémique), comme l'ont fait d'autres pays
? Pourquoi la plupart des études sur le cinéma africain ont-elles été relé-
guées dans l'ombre de réalisateurs narratifs militants comme Moustapha
Allasane ou Oumarou Ganda, qui n'ont manifestement jamais tourné le
genre de films nationalistes à la mode depuis le colonialisme? Un autre cas
intéressant est celui du Cameroun, où des réalisateurs comme Daniel
Kamwa et Jean-Pierre Dikongue Pipa se sont concentrés sur des ques-
tions soporifiques comme le mariage forcé et la dot à une époque où le pays
était lourdement dirigé par l'une des dictatures les plus hideuses d'Afrique.
Il est clair que ces films ne correspondent pas à la définition nationaliste
d'un cinéma véritablement « africain », telle qu'elle est définie par les
normes de la FEPACI. En fait, la question de l’« authenticité » du cinéma
« africain » est ouvertement historique, controversée et instable. Parlant
précisément d’« authenticité », David Murphy a souligné la difficulté de
saisir l'appréhension du véritable africain. Selon lui, « la réalité des africains
qui filment n'a pas produit un cinéma africain » authentique unifié. C'est
pourquoi la notion de cinéma « africain » a récemment fait l'objet de plu-
sieurs attaques de la part de réalisateurs dont la perception du cinéma ne
correspond pas à 50 ans d'impératifs libératifs datés.

