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ces comédies est avant tout conservatrice », en ce sens que c'est toujours
l'homme, et non l'institution, qui est en faute . La question à se poser est
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de savoir si, en Afrique et ailleurs, les institutions peuvent être totalement
séparées des êtres humains. Pendant trop longtemps, il a été difficile de
faire la différence, dans le cas spécifique des contextes postcoloniaux, entre
les « pères de la nation » corrompus et les institutions postcoloniales.
Il est donc évident que les films africains fondateurs ont déterminé
leur « africanité » essentiellement par le biais de la praxis politique. La pro-
duction et le discours cinématographiques étaient définis d'en haut, par les
institutions politiques, qui, en fait, dictaient ce qui devait être produit. La
lutte contre le colonialisme et ses conséquences était donc considérée
comme l'unique raison d'être, la caractéristique nécessaire des films qui
étaient paradoxalement financés par les mêmes puissances coloniales qu'ils
contestaient. Dans tous les cas, les films africains différaient des films eu-
ropéens, par exemple, en raison de circonstances historiques et politiques
spécifiques. Dans un tel contexte, ne pas être engagé politiquement pour
un réalisateur africain était une sorte d'hérésie culturelle, un manque évident
d’« africanité ». C'est presque certainement dans cet état d'esprit qu'Uka-
dike critique Sambizanga de Sarah Maldoror comme étant « déficient »
en raison de sa multitude de scènes d'amour ou d'émotions qui « roman-
cent » inutilement ce qui aurait pu constituer une description énergique d'un
soulèvement de libération . Dans un tel contexte, un « vrai » film africain
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ne peut être nationaliste que dans la perspective fanonienne, c'est-à-dire
uniquement lorsqu'il est ouvertement politique. Comme l'observe judicieu-
sement Kenneth Harrow, « les termes de la résistance ont été si puissam-
ment définis par Ousmane Sembène et sa génération qu'il est devenu
presque impossible pour un cinéaste ou un romancier de ne pas prendre une
position politiquement engagée ». En étant contraints de « filmer » ou de
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« riposter » comme le formule Melissa Thakway dans son livre, des cir-
constances politiques et historiques spécifiques ont positionné les réalisa-
teurs africains dans ce qui a été défini plus tard comme la principale
caractéristique des productions postcoloniales, c'est-à-dire celles qui remet-
tent en question toutes les représentations formelles et discursives impé-
riales .
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C'est dans ce contexte que l'on peut positionner les films agressi-
vement nationalistes d'Ousmane sembène, appelé « le demi-dieu du ci-
néma africain » par Manthia Diawara, ou ceux de Med Hondo, pour ne
citer que deux réalisateurs, peuvent être positionnés. Tous leurs films ont
un objectif singulier, celui de contester la domination (post)coloniale .
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