Page 314 - Livre2_NC
P. 314
Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains 305
Les nouveaux cinémas africains
C'est peut-être en raison de l'influence durable d'Ousmane Sem-
bène sur le cinéma africain que Manthia Diawara se demande, dans Afri-
can Film, à quoi ressemblera un cinéma africain « post-sembène » Sera-
39
t-il populiste comme c'est le cas avec Cheick Fantamady Camara,
Moussa Sène Absa, et dans le Nollywood nigérian? S'orientera-t-il vers le
cinéma d'art postcolonial de Jean-Pierre Bekolo et Abderamane Sissako
ou plutôt vers le cinéma encore panafricaniste de Jean-marie Teno,
Ramadan Suleman et John Akomfrah ? Les questions de Diawara
reposent sur le fait que le paysage cinématographique est en train de subir
des trans- formations majeures, voire radicales. Il est désormais évident
que l'esthé- tique libératrice est devenue en quelque sorte obsolète.
En fait, à bien des égards, il se trouve que les cinémas politiques africains
ont été un échec relatif et un « cinéma d'élite » à plusieurs égards. Ce cinéma
a contribué à développer les films d'auteur, qui, bien qu'utiles, semblent
avoir systématiquement aliéné les cinéphiles africains. Tel est le point de
vue extrêmement critique du réalisateur congolais Mewze Ngangura, selon
lequel tout public, y compris africain, va au cinéma pour le plaisir et non
pour l'asservissement idéologique. Pour Ngangura, c'est cette perception
du cinéma « africain » qui a conduit à l'absence de tout « genre » dans le
cinéma africain et, surtout, à l'absence de comédie:
[En Afrique, depuis de nombreuses années, presque tous les cinéastes africains
se considèrent comme des auteurs, comme des personnes chargées d'une mis-
sion, chargées de porter une mission à leur peuple…]
En fait, l'engouement pour un « cinéma d'auteurs », parce qu'il
n'émanait pas d'un courant cinématographique large et dominant (qui
n'existait d'ailleurs pas) s'adressant à la majorité des publics, n'a réussi
qu'à éloigner le public africain de son propre cinéma, qu'il a tendance,
aujourd'hui encore, à considérer comme trop « culturel » au sens péjo-
ratif et trop didactique plutôt que spectacle. Il est révélateur, par exem-
ple, que les comédies, genre populaire s'il en est, en Afrique comme
ailleurs, n'aient été que rarement tentées dans le cinéma africain .
40
Dans la même optique, Idrissa Ouédraogo fustige le cinéma mi-
litant notoirement connu pour sa distribution confidentielle et son manque
de spectateurs :
En aucun cas, je ne prétends représenter mon peuple ou les valeurs africaines.
On devient facilement prétentieux quand on prétend être un instructeur ou un
professeur... L'école du soir « de Sembène, ce n'est pas du cinéma de fiction !
Pourquoi parler d'un cinéma africain qui se pervertit au gré des modes »?