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Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains                      307

          résolument le nationalisme et situent leurs discours dans les flux turbulents
         de la mondialisation. Comme le souligne Teresa Hoefert de Turégano à
          propos du cas spécifique du Burkina Faso, les films contemporains ne sont
         pas seulement techniquement supérieurs, mais aussi nettement « moins mo-
         ralisateurs, moins didactiques, moins préoccupés par la légitimation de la
         nation » que les précédents  . Au Burkina Faso et dans d'autres pays, les
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          récits qui ont « laissé la nation derrière eux » participent pleinement à une
          expérience transnationale et dépassent le réalisme caractéristique des pre-
          mières fictions africaines « traditionnelle  ». Dans tous les cas, ces réali-
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          sateurs ont compris que « dans ce monde de genres, d'ethnies et de classes,
         de familles, de religions et de nations, il est bon de se rappeler qu'il y a des
         moments où l'Afrique n'est pas la bannière dont nous avons besoin  46   ».
          Dans un tel contexte, une conception stable ou monolithique du cinéma
          « africain » devient non seulement moins souhaitable, mais plus difficile,
          en raison de la manière dont les cinéastes parviennent à positionner leur
          travail dans un cadre global et même par rapport à un certain public. Au
          cours des deux ou trois dernières décennies, le cinéma « africain » est donc
         devenu un cinéma qui s'intéresse à des projets différents du nationalisme
         ouvert, ou qui aborde différemment les mêmes questions. Bien que des
         films comme Bamako (de Abderrahmane Sissako, 2006) ou Le malen-
         tendu colonial (de Jean-Marie Teno, 2004), il est sérieusement contestable
         d'affirmer catégoriquement, comme le fait Achille Mbembe, que « la thé-
         matique de l'anti-impérialisme est épuisée  », il est néanmoins évident que
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         pour des réalisateurs comme Mohamed Camara, Mansour Sora Wade,
          Jean-Pierre Bekolo, Daniel Kamwa, Safi Faye, Henri Duparc, Desiré
         Ecaré, Henri-Joseph Koubi Bididi, Dani Kouyaté et Mwezé Ngangura,
         pour ne citer qu'eux, la « nation » est un signifiant moins important, voire
         totalement absent. La nécessité de construire une nation a été quelque peu
          éclipsée par un déplacement de l'attention vers des priorités plus quoti-
          diennes. Cela ne signifie pas, il faut le souligner, que les réalisateurs ne s'in-
         téressent plus à la nation.

                 Loin de l'abandonner, ils ont simplement déplacé leurs priorités
         vers différentes composantes des identités nationales et sociales qui ont peu
         à voir avec le discours militant. Néanmoins, leurs œuvres respectives met-
         tent en pratique les arguments de Paul Gilroy sur l'expression noire en dé-
         construisant le mythe d'une culture unitaire ou « pure ». Motivés par des
         influences conscientes et inconscientes, ces réalisateurs, comme plusieurs
         autres, illustrent l'argument d'Arjun Appadurai selon lequel
            nous devons nous penser au-delà de la nation. Il ne s'agit pas de suggérer que
            la pensée seule nous portera au-delà de la nation ou que la nation est en grande
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