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Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains                      297

            le poids de l'influence et des rationalités occidentales sur son travail, il
            affirme catégoriquement :
            « Je ne connais pas le cinéma africain. Je ne l'ai jamais étudié et ce n'est pas
            mon domaine  ». En outre, il ajoute que « après avoir clairement examiné ce
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            qu'est le cinéma, je pense qu'il n'y a pas de cinéma. Il y a des films africains,
            mais je ne sais pas s'il y a du cinéma dedans  ».
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                 Par conséquent, historiquement parlant, il semble y avoir eu plu-
          sieurs hypothèses sur ce qu'est le « cinéma africain », où les questions d'au-
          thenticité, de race, de nation, de territoire, de financement, d'identité, de
          langue et bien d'autres convergent finalement pour définir le cinéma d'un
          continent. Pour ma part, j'affirme que ces concepts ne sont plus adéquats et
         qu'ils seront donc examinés et réévalués tout au long de cet essai. L'un des
         points à établir est qu'en dépit d'une apparente impression d'uniformité dé-
         veloppée collectivement par les critiques et les cinéastes, les films africains
          ont eu tendance, dès le départ, à être diversifiés dans leurs formations dis-
          cursives et esthétiques. Ce phénomène s'est accentué au cours des dernières
          décennies avec les films de Jean-Pierre Bekolo, Moussa Sene Absa, ou
          Henri Duparc, où les expérimentations formelles inédites semblent désor-
          mais déterminées par des préoccupations à la fois locales et plus globales.
          Je vais d'abord explorer l'influence du nationalisme dans la construction de
          la recherche sur le cinéma. Ensuite, j'examinerai les nouvelles tendances
          développées par les cinéastes depuis les années 1990 afin de contester ce
          qu'ils perçoivent comme une perception momifiée du « cinéma africain »
          et, enfin, je tenterai de proposer une théorisation alternative.

          Le nationalisme culturel comme discours fondateur

                 Il n'est pas possible d'examiner le rôle du nationalisme comme fon-
          dement de la création des cinémas africains sans établir le lien entre le ci-
          néma et le colonialisme. C'est une coïncidence troublante que le cinéma
          soit né à une époque où l'Europe était à l'apogée de sa révolution indus-
          trielle, tout en construisant divers discours hégémoniques utilisés pour jus-
         tifier la nécessité de soumettre « naturellement » des peuples considérés
         comme inférieurs et, par conséquent, désespérés d'être « civilisés ». La ren-
         contre entre l'Afrique et le cinéma a donc été fortement influencée par ce
         contexte. Il n'en reste pas moins que les colons européens de race blanche
         se sont arrogés le pouvoir politique, et que ce pouvoir était par conséquent
         associé au pouvoir de la narration et de la représentation. C'est ainsi que les
         clichés les plus vicieux et les plus durables sur « les mexicains paresseux,
         les arabes sournois, les africains sauvages et les asiatiques exotiques » se
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