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Alexie Tcheuyap / Les cinémas africains                      313

          pu être pleinement abordées dans ce court essai. L'existence de la catégorie
         que Sheila Petty appelle « Black Diasporic Cinema » complique encore
         plus toute investigation théorique, car elle confirme la fragilité de toute clas-
         sification territoriale ou géographique  . Ce qu'il y a de commun entre les
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          films diasporiques et les films africains postérieurs à 1990, c'est que les réa-
          lisateurs noirs à l'étranger évoluent dans un contexte transnational où « l'arrivée
         et le départ, le mondial et le local, la nation et la (non-)nation » déterminent
          désormais la production culturelle et la construction identitaire  . Il est dés-
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          ormais évident que le divertissement, les nouveaux genres et les expéri-
          mentations esthétiques innovantes ont cédé la place à un cinéma "africain"
         simpliste qui aboutit à réduire la culture à des paramètres nationalistes, ra-
         ciaux et culturels. En tenant compte des transformations politiques, écono-
         miques et culturelles  contemporaines, la  meilleure  façon de  définir  le
         cinéma africain serait de considérer comme africain tout film qui intègre
         l'Afrique (ou les africains) comme catégorie de représentation. Il s'agit tou-
         tefois d'un point de vue potentiellement controversé, car une telle typologie
         générale  pourrait également inclure les  films  de  jungle  hollywoodiens.
         Pourtant, si l'on considère des réalisateurs comme  Jean Rouch, Claire
         Denis, Jacques Champreux ou Laurent Chevalier, il y a certainement
         autant d'Afrique dans leurs films que dans les récits d'oumarou Ganda,
         Paulin  soumanou  Vieyra,  Jean-Pierre  Bekolo  ou même  Ousmane
         Sembène. Ce qui importe le plus, à mon avis, ce n'est pas la territorialité,
         la  race, la politique ou l’« authenticité » d'une culture particulière, car les
         ques- tions de langue, de discours et de forme nous obligent nécessairement
          à re- garder au-delà de ces concepts bien définis.

            Alexie Tcheuyap a fait ses études au Cameroun, en Écosse et au Canada. Il est ac-
            tuellement professeur de français et vice-doyen de l'Université de Toronto. Il a été
            professeur invité dans diverses universités en Europe, en Afrique et aux États-Unis.
            Ses recherches portent sur la littérature africaine, le cinéma et les études des médias.
            Il est l'auteur de plusieurs articles, de volumes édités, de numéros spéciaux de revues
            et de livres. Sa dernière publication s'intitule Avoir peur. Insécurité et roman en Afrique
            francophone (Presses de l'Université Laval, 2019 ; avec Hervé Tchumkam).

          notes:
          Publié à l'origine sous le titre Alexie Tcheuyap, " African Cinema(s) : Definitions, Identity, and Theo-
          retical Considerations ", Critical Interventions : Journal of African Art History and Visual Culture 5,
          no. 1 (2011) : 10-26.
          1. Manthia Diawara, African Film : New Forms of Aesthetics and Politics (Munich : Prestel, 2010), 29-
          30. C'est nous qui soulignons.
          2. Assiatou Bah Diallo, " Les femmes à la recherche d'un nouveau souffle ", Amina 253 (1991) : 8-9.
         3.  Olivier Barlet, Cinémas d'Afrique : Decolonizing the Gaze, trans. Chris Turner (New York : Zed
          Books, 2000), 43-49.
          4. Samuel Lelièvre, " Du cinéma africain . . aux cinémas africains ", CinémAction 106 (2003) : 10-13.
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