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Teshome H. Gabriel / Vers une théorie critique 367
radicale. Par conséquent, ce qui a été présenté comme un film de « fiction »
est reçu comme s'il s'agissait d'un « documentaire ». Le même film de fic-
tion projeté dans son propre pays d'origine, cependant, revendique un spec-
tateur idéal parce qu'il est fermement ancré dans ses propres références
culturelles, codes et symboles. Un exemple classique de la façon dont les
films d'une culture peuvent facilement être mal compris et mal interprétés
par un spectateur d'une autre culture est Le Lion a sept têtes/O Leão de Sete
Cabeças de Glauber Rocha. Le film a été largement exposé en occident,
un catalogue compilé en 1974 attribuant à Rocha le mérite d'avoir amené
« le Cinema Novo en Afrique pour cet assaut du tiers-monde contre les di-
vers impérialismes représentés dans son titre multilingue ». Parmi les per-
sonnages, on trouve un révolutionnaire noir, un mercenaire portugais, un
agent américain de la CIA, un missionnaire français et une femme nue vo-
luptueuse appelée le Temple d'or de la violence . Là encore, un récent recueil
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de critiques, Africa on Film and Videotape, 1960-1981, écarte complètement
le film avec une seule phrase : « Une farce allégorique soulignant le lien entre
l'Afrique et le Brésil ».
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Pourtant, Glauber Rocha, dans une interview donnée à une émi-
nente historienne du cinéma, Rachel Gerber (auteur de Glauber Rocha,
Cinema, Politica e a Estetica do Inconsciente), à Rome, en février 1973, et
dans une discussion avec cet auteur à UCLA en 1976, a déclaré que le film
est une histoire de Che Guevara qui est magiquement ressuscité par les
noirs à travers l'esprit de Zumbi, le nom spirituel de feu Amilcar Cabral.
Pour Rocha, le film est en fait un hommage à Amilcar Cabral. Ainsi, alors
que l'Occident regarde ce film comme une offre d'images clichées et un
objet de curiosité, le cinéaste essaie seulement d'affirmer la continuité de
la lutte anti-impérialiste du tiers-monde, du Che à Cabral (et au-delà), d'ini-
tier une prise de conscience de leurs vies, et de la pertinence pour nous au-
jourd'hui de ce pour quoi ils ont lutté et sont morts. Dans la mesure où nous
reconnaissons une histoire d'échanges inégaux entre le Sud et le Nord, nous
devons également reconnaître l'inégalité des échanges « symboliques » im-
pliqués. La difficulté d'interprétation occidentale des films du tiers-monde
présentant des commentaires sociaux radicaux est le résultat a) de la résis-
tance du film aux conventions dominantes du cinéma, et b) de la consé-
quence de la perte par les spectateurs occidentaux de leur statut de
décodeurs privilégiés et d'interprètes ultimes du sens.
L'expérience occidentale du visionnage de films, domination du
grand écran et de la situation assise, a naturalisé un conditionnement du
spectateur de sorte que toute communication d'un film joue sur ces valeurs