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             d'exposition et de réception. L'expérience du tiers-monde en matière de vi-
             sionnage et d'exposition de films suggère un tout autre parcours et un autre
             système de valeurs. Par exemple, les américains et les européens détestent
             voir un film sur les écrans africains, car tout le monde parle pendant les
             projections; de même, les spectateurs africains de films en Amérique se
             plaignent du code de silence très strict et de l'atmosphère solennelle des
             salles de cinéma américaines.
                     La façon dont le système de modèles perceptuels et la situation de
             visionnement varient avec les conditions de réception d'une culture à l'autre,
             ou comment les changements dans les règles de la grammaire affectent les
             habitudes de visionnement des spectateurs, fait partie d'une question plus
             large qui solidifie et confirme la question du relativisme et de l'identité cul-
             turels. La confluence des phases et des constructions converge également
             vers les facteurs technologiquement médiatisés des appareils de production
             nécessaires, des relations productives et des mécanismes des opérations in-
             dustrielles. Il convient d'affirmer sans ambages que la « technologie » en
             tant que telle ne produit ni ne communique de sens; mais il est tout aussi
             vrai de dire que la « technologie » a une dynamique qui contribue à créer
             des transferts idéologiques qui imprègnent le langage discursif, c'est-à-dire
             que le discours idéologique se manifeste dans les mécanismes du discours
             cinématographique. A titre d'exemple, il est possible qu'un cinéaste ait l'idée
             de la « forme filmique » avant d'avoir « un contenu » pour l'accompagner.
             Les films du tiers-monde sont hétérogènes, ils utilisent des discours narratifs
             et oraux, de la musique et des chants folkloriques, des silences et des vides
             prolongés, ils passent de la représentation fictive à la réalité, à la fiction, ils
             constituent la partie créative qui peut remettre en question les reports idéo-
             logiques que la technologie impose.

                     Du point de vue de la critique cinématographique du tiers-monde,
             les études cinématographiques  contemporaines  sont critiquées  sur  deux
             fronts principaux:
             Premièrement, la théorie et la critique cinématographiques contemporaines
             sont fondées sur une conception du « spectateur » (sujet ou citoyen) dérivée
             de la théorie psychanalytique où la relation entre le « spectateur » et le
             « film » est déterminée par une dynamique particulière de la matrice « fa-
             miliale ». Dans la mesure où la culture et les relations familiales du tiers-
             monde ne sont pas décrites par la théorie psychanalytique, la représentation
             filmique du tiers-monde est ouverte à une élaboration de la relation specta-
             teur/ film en des termes autres que ceux fondés sur la psychanalyse. Le
             tiers-monde s'appuie davantage sur un appel aux conflits sociaux et poli-
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