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362 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
Le style : Le film comme instrument idéologique. Ici, le film est
assimilé ou reconnu comme un instrument idéologique. Cette phase parti-
culière constitue également un cadre d'accord entre le public (ou l'institution
indigène du cinéma) et le cinéaste. Un cinéaste de la phase III est celui qui
est perspicace et qui connaît le pouls des masses du tiers-monde. Un tel ci-
néaste est véritablement à la recherche d'un cinéma du tiers-monde, un ci-
néma qui respecte les peuples du tiers-monde. Un élément du style dans
cette phase est un point de vue idéologique au lieu de celui d'un personnage
comme dans les conventions occidentales dominantes. Di Cavalcanti de
Glauber Rocha, par exemple, s'inspire du « Quarup », un rituel de mort
joyeux célébré par les tribus amazoniennes . Cette célébration libère les
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morts de la vision tragique et hypocrite que l'homme moderne a de la mort.
En transformant le documentaire sur la mort du peintre brésilien de renom-
mée internationale Di Cavalcanti en un montage chaotique, célébratif de
sons et d'images; Rocha a habilement et directement critiqué la convention
documentaire dominante, créant dans le processus non seulement un lan-
gage cinématographique alternatif mais aussi un discours stimulant sur la
question de l'existence elle-même. Un autre élément de style est l'utilisation
du flash-back- bien que la référence soit faite à des événements passés, elle
n'est pas stagnante mais dynamique et évolutive. Dans The Promised Land,
par exemple, le flashback plonge dans le passé pour commenter l'avenir, de
sorte qu'un flash-forward s'y inscrit. De même, lorsqu'un flashforward est
utilisé dans Ceddo (1977) de Sembène, c'est aussi pour véhiculer simulta-
nément un temps passé et un temps futur afin de commenter deux périodes
historiques.
Puisque le passé est nécessaire à la compréhension du présent et
sert de stratégie pour l'avenir, cette orientation stylistique semble être idéo-
logiquement adaptée à cette phase particulière. Il faut cependant noter que
les trois phases évoquées ci-dessus ne sont pas des développements orga-
niques. Elles sont enfermées dans une dynamique qui est de nature dialec-
tique ; par exemple, certains cinéastes du tiers-monde ont pris un chemin
contradictoire. Lucia, un film cubain de Humberto Solas sur les relations
entre les sexes, appartient à la phase III, mais le dernier film de Solas, Ce-
cilia, qui traite d'une femme mulâtre ambitieuse qui tente de s'assimiler à
une aristocratie espagnole répressive, est une régression dans le style (le
spectacle rutilant) et le thème (le mulâtre tragique) vers la phase I. Dans la
direction opposée, les premiers films brésiliens de Glauber Rocha comme
Deus e o Diabo na Terra do Sol (littéralement Dieu et le diable au pays du
soleil), mais annoncé aux États-Unis comme « Dieu noir, diable blanc »!)