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Teshome H. Gabriel / Vers une théorie critique 375
matif qu'une étude du « réalisme psychologique ». L'isolement d'un indi-
vidu, en gros plan serré, semble peu naturel au cinéaste du tiers-monde
parce que (I) il attire l'attention sur lui-même; (II) il élimine les considéra-
tions sociales; et (III) il diminue l'intégrité spatiale.
Le plan panoramique :
Comme un plan panoramique maintient l'intégrité de l'espace et du temps,
la valeur narrative d'un tel plan rend le « cut » ou le montage souvent inutile.
L'accent mis sur l'espace transmet également un concept différent du
« temps », un temps qui n'est pas strictement linéaire ou chronologique mais
qui coexiste avec lui. Selon mes propres observations, alors que les films
occidentaux ont tendance à faire des panoramiques sur un axe gauche-
droite, les films du Moyen-Orient, par exemple, ont tendance à faire des
panoramiques généralement vers la gauche, comme dans Alyam Alyam
(Maroc) et Shadow of the Earth (Tunisie). Il est tout à fait possible que la
direction du panoramique vers la gauche ou la droite soit fortement influen-
cée par la direction dans laquelle une personne écrit.
Le concept du silence:
Le riche potentiel d'interprétation créative du son ainsi que l'utili-
sation efficace de son absence sont énormes dans les films du tiers monde.
Par exemple, dans Emitai, les messages des tambours sont sous-titrés en
anglais, et un coq chante lorsque la caméra de sembène enregistre un plan
en contre-plongée d'une affiche du général de Gaulle. Un joli jeu de mots
visuel! Le silence est un élément important de la bande sonore du même
film. C'est « un cinéma du silence qui parle ». Les silences n'ont de sens
que dans leur contexte, comme dans le film éthiopien Gouma et le film cu-
bain The Last Supper, où ils contribuent à la suspension du jugement que
l'on éprouve en regardant une longue prise. Les spectateurs se demandent
ce qui va se passer, habitués qu'ils sont au son incessant et à la surcharge
de musique du cinéma dominant.
Le concept de héros:
Même si un spectateur occidental ne peut s'empêcher de s'identifier
et de sympathiser avec le leader syndical noir dans They Don't Wear Black
Tie, le fou dans Harvest: 3000 Years, le poète fou dans The Chronicle of
the Years of Ember et le membre du parti militant dans Sambizanga, les
films tuent néanmoins ces personnages. Cela s'explique par le fait que l'ac-
complissement des souhaits par l'identification n'est pas l'objectif premier
des films; c'est plutôt l'importance de l'engagement et de l'action collective