Page 448 - Livre2_NC
P. 448

Tomaselli, Shepperson, & Eke / La théorie de l’oralité       439

          En termes visuels, cette tâche d'enregistrement et d'articulation des philo-
          sophies africaines incombe désormais aux cinéastes africains, qui endossent
          les rôles multiples et complexes des bardes/historiens oraux traditionnels.
          Les cinéastes dépendent de leur art pour leur survie économique et fonc-
          tionnent donc de la même manière que les « poètes itinérants » traditionnels
         qui gagnent leur vie grâce à leur art. Ces poètes/griots ne font souvent allé-
         geance à personne en particulier et peuvent à la fois vilipender et louer un
         public, des politiciens, des gouvernants ou un profane. C'est donc souvent
         l'économie qui détermine la nature de la poésie de louange. L'art des ci-
         néastes africains, cependant, n'est souvent pas influencé par la loyauté au
         pouvoir établi, ou la fidélité à un individu. La fonction des cinéastes est
         plutôt  déterminée par une combinaison  d'idéologies artistiques,  écono-
         miques et politiques, ainsi que par une vision sociale.

                 L'intégration du spirituel et du matériel se retrouve en partie dans
         la tradition orale que de nombreuses sociétés africaines ont maintenue à tra-
         vers les siècles de colonisation et d'occidentalisation. Ces cinéastes consi-
         dèrent leur art comme un commentaire sur leurs sociétés afin d'éclairer les
         gens sur les contextes de leurs expériences. Ainsi, d'un point de vue plus
         général, le cinéaste africain incarne les rôles complexes et multiples des
         griots/bardes dans leurs contextes traditionnels d'origine. Ils sont à la fois
         des critiques sociaux, des historiens, des bardes et des voyants; ils critiquent
         le présent pour encourager le changement ; ils réexaminent et reconstruisent
         le passé pour mieux comprendre ses effets sur le présent; et ils transmettent
         les cultures et les histoires de la génération passée à celles qui sont pré-
         sentes.

                 Les réalisateurs africains, en décolonisant les images occidentales
         de l'Afrique présentées aux africains, sont confrontés au problème du public
         accroché par hollywood et à la recherche de divertissement évasif dans leurs
         propres pays. Ainsi, alors que les gouvernements africains interdisent la
         plupart du temps les films réalisés par leurs citoyens critiques, ils deviennent
         du fourrage artistique pour les festivals de films et les circuits de confé-
         rences du premier monde. En tant que tels, les films africains critiques sont
         parfois soumis à une critique psychanalytique post-freudienne et lacanienne
         aliénante et trompeuse. Ces théories sont souvent importées de manière
         inappropriée dans les canons critiques africains par des chercheurs itinérants
         qui tentent d'assurer leur pertinence dans le premier monde en recréant les
         bastions néocoloniaux de la théorie occidentale psychocentrique de l'écran
         dans un continent qui n'a pas encore résolu les tensions et les problèmes du
         colonialisme, sans parler du postmodernisme.
   443   444   445   446   447   448   449   450   451   452   453