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Tomaselli, Shepperson, & Eke / La théorie de l’oralité 439
En termes visuels, cette tâche d'enregistrement et d'articulation des philo-
sophies africaines incombe désormais aux cinéastes africains, qui endossent
les rôles multiples et complexes des bardes/historiens oraux traditionnels.
Les cinéastes dépendent de leur art pour leur survie économique et fonc-
tionnent donc de la même manière que les « poètes itinérants » traditionnels
qui gagnent leur vie grâce à leur art. Ces poètes/griots ne font souvent allé-
geance à personne en particulier et peuvent à la fois vilipender et louer un
public, des politiciens, des gouvernants ou un profane. C'est donc souvent
l'économie qui détermine la nature de la poésie de louange. L'art des ci-
néastes africains, cependant, n'est souvent pas influencé par la loyauté au
pouvoir établi, ou la fidélité à un individu. La fonction des cinéastes est
plutôt déterminée par une combinaison d'idéologies artistiques, écono-
miques et politiques, ainsi que par une vision sociale.
L'intégration du spirituel et du matériel se retrouve en partie dans
la tradition orale que de nombreuses sociétés africaines ont maintenue à tra-
vers les siècles de colonisation et d'occidentalisation. Ces cinéastes consi-
dèrent leur art comme un commentaire sur leurs sociétés afin d'éclairer les
gens sur les contextes de leurs expériences. Ainsi, d'un point de vue plus
général, le cinéaste africain incarne les rôles complexes et multiples des
griots/bardes dans leurs contextes traditionnels d'origine. Ils sont à la fois
des critiques sociaux, des historiens, des bardes et des voyants; ils critiquent
le présent pour encourager le changement ; ils réexaminent et reconstruisent
le passé pour mieux comprendre ses effets sur le présent; et ils transmettent
les cultures et les histoires de la génération passée à celles qui sont pré-
sentes.
Les réalisateurs africains, en décolonisant les images occidentales
de l'Afrique présentées aux africains, sont confrontés au problème du public
accroché par hollywood et à la recherche de divertissement évasif dans leurs
propres pays. Ainsi, alors que les gouvernements africains interdisent la
plupart du temps les films réalisés par leurs citoyens critiques, ils deviennent
du fourrage artistique pour les festivals de films et les circuits de confé-
rences du premier monde. En tant que tels, les films africains critiques sont
parfois soumis à une critique psychanalytique post-freudienne et lacanienne
aliénante et trompeuse. Ces théories sont souvent importées de manière
inappropriée dans les canons critiques africains par des chercheurs itinérants
qui tentent d'assurer leur pertinence dans le premier monde en recréant les
bastions néocoloniaux de la théorie occidentale psychocentrique de l'écran
dans un continent qui n'a pas encore résolu les tensions et les problèmes du
colonialisme, sans parler du postmodernisme.