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Le cinéma et le problème des langues en Afrique


          Paulin Soumanou Vieyra


              e nombreux domaines de la création artistique reposent sur la parole.
          D  C'est le cas du théâtre et du cinéma, entre autres: leur manifestation
          nécessite l'utilisation du langage parlé. Bien sûr, dans leur phase initiale de
          création, le théâtre et le cinéma émergent à travers le langage écrit, comme
          le roman. Mais pour signifier le langage, cette vague conception de la pa-
          role, il faut le support d'une langue qui l'explique en mots.
                Abordons l'aspect économique de l'utilisation de la langue princi-
          pale ou nationale dans les films. On a remarqué que le public préfère re-
          garder les films postsynchronisés dans sa propre langue plutôt que de les
          regarder sous-titrés. Partant de ce constat, et pour des raisons purement
          commerciales, dès l'apparition des talkies, les producteurs et les distribu-
          teurs, pour assurer les ventes, ont commencé à les postsynchroniser dans la
          langue de chacun de leurs clients. Mais cet effort n'a été étendu à aucune
          des langues africaines.
                Bien sûr, si l'on soulève la signification culturelle de cette opération,
         la méthode semble à première vue barbare. Rappelons qu'une langue, pour
         citer Jacques Berque, « n'est pas un phénomène qui transcende la nature
         ou la société, tombant pour ainsi dire du ciel  ». Une langue est chargée des
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         valeurs de civilisation d'un peuple. Mettre de l'allemand ou du russe dans
         la bouche d'acteurs français, c'est nécessairement créer un décalage entre
         la densité affective et émotionnelle de la langue et les pensées étrangères
         qu'elle est appelée à signifier. Si les langues en question appartiennent à un
         même déterminisme géographique et sont issues d'une même civilisation,
         on peut soutenir que le mal est minime. Lorsque la langue de substitution
         utilisée pour doubler le film appartient à une autre zone géographique et
         porte les valeurs d'une autre civilisation, le résultat est plus dramatique.
         Nous avons vu des films japonais doublés en français, et nous avons ressenti
         une certaine gêne et un malaise intellectuel. C'est pourquoi, en fait, les vrais
         cinéphiles préféreront toujours regarder un film dans sa langue originale,
         avec des sous-titres uniquement. Dans le cas de l'Afrique, ce ne sont cer-
         tainement pas ces réticences culturelles qui ont empêché les producteurs et
         les distributeurs de doubler leurs films en langues africaines. Abordons plu-
         tôt la question économique.
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