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Paulin Soumano Vieyra / Cinéma et problème des langues       445

          dans le pays), cela ne signifie pas qu'elle le serait ailleurs et pour d'autres
          langues . Même si cette objection était fondée, nous suggérons qu'une or-
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          ganisation comme l'UNESCO tente l'expérience avec des films jugés inté-
          ressants. Toute autre organisation, y compris les Etats africains eux-mêmes,
         pourrait bien sûr soutenir le doublage de certains films dans comme l’in-
         dique Paulin Soumanou Vieyra / Le problème des langues, politique cul-
         turelle.  [Dans notre discussion précédente], nous  avons  étendu notre
         démonstration [que le doublage des films en wolof serait rentable] à 450
         films, soit la totalité des nouveaux films distribués annuellement au Sénégal.
          On pourrait, par exemple, commencer par ne retenir qu'une dizaine de ces
          films pour le doublage.

                Comme nous l'avons signalé plus haut, dans le cas du doublage, on
          pourrait objecter que l'écart pourrait s'avérer trop important entre, d'une
          part, une action purement occidentale (dans son déroulement et son statut
          ontologique, dans sa dimension spirituelle et dans ses manifestations ma-
          térielles), et, d'autre part, la langue africaine qui s'y greffe pour donner un
          sens local aux composantes du film et leur conférer la dimension affective
          nécessaire. Cet écart pourrait même s'avérer inconciliable et conduire le pu-
         blic à rejeter le film. C'est une possibilité qui pourrait faire de l'opération
         de doublage en Afrique, du moins dans sa phase initiale, un échec. Comme
         nous l'avons dit, il sera important au début de choisir des films dont l'orien-
         tation culturelle rend acceptable, voire plausible, que des européens parlent
          en wolof, par exemple.
                Le danger pourrait être que le doublage réaffirme les valeurs de la
          civilisation occidentale, cette fois de l'intérieur même de l'Afrique, et donc
          de manière encore plus efficace. Pourtant, l'heure n'est-elle pas aux sym-
          bioses culturelles? L'Afrique ne peut plus rester en dehors du circuit général
          du monde. Autant en tirer un bénéfice réel et durable et tenter de faire évo-
          luer les rapports de force vers moins de domination et de subordination.

                Cela nous amène à nous interroger sur le rôle que joue le cinéma
         africain dans les échanges culturels de l'Afrique avec le monde. Pour cela,
         le cinéma africain doit commencer par être totalement africain ; c'est de ce
         point de vue qu'il aura quelque chose à apporter au monde. Cela signifie
         que le cinéma africain doit naître des langues africaines. Les cinéastes afri-
         cains sont conscients de cette question, et ils préfèrent ne pas étendre au ci-
         néma le paradoxe actuel de la littérature africaine, qui est écrite dans des
         langues étrangères et plus connue à l'étranger qu'en Afrique  . Nous avons
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