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Michael T. Martin, Samba Gadjigo & Jason Sylverman/ Solidarité médiatisée   555

          SG : Exact !

         JS : Mais si elle disait : « Laissez-moi commencer par l’introduction de cette
         histoire, et l’introduction est conçue pour faire X, Y et Z »? Vous ne voulez pas
          faire ça avec la narration.

          SG : Je suis content que vous disiez cela parce que nous avons commencé par
          les langues africaines. Dans la culture occidentale, quand on commence une
          histoire, on dit « Il était une fois » ? Eh bien, dans la culture peulh, vous avez
          des ouvertures similaires, mais plus profondes. Par exemple, en peulh je dirais,
         « Il était une fois ». Le public peulh, avant même le début du récit, répondait :
         « Peut-être que c’est arrivé, peut-être que ce n’est pas arrivé ». Dans le do-
         maine de la narration, notre film est une histoire...

         MTM : Dans une histoire.

          SG : Oui.

          MTM : Dans la dernière partie de votre introduction au film, vous passez par
         une image de Sembène, âgé et digne, apparemment pour inscrire visuellement
         l’idée qu’il est le père. Ici, vous êtes le protagoniste de votre propre évolution,
         passant d’objet colonisé à sujet anticolonial. Il y a un temps écoulé entre ces
          deux moments, dans quel but ?

         SG : Dans l’évolution du film, je suis d’abord un disciple de Sembène. Mais
         avant de franchir la porte, je dis : « Un jour, je suis venu chez Sembène et il
          m’a donné les clés de sa maison. Et j’ai compris qu’il ne m’invitait pas seule-
          ment, mais qu’il faisait de moi le gardien de son héritage ». Je suis donc le
          gardien de son héritage, ce qui signifie que je dois raconter son histoire et, ce
          faisant, préserver sa mémoire, car toute histoire que l’on raconte a une fina-
          lité.

         JS : Vous avez raison de dire que nous voulions suggérer, à ce moment-là, une
          figure de mentor en Sembène, une relation père-fils et Samba comme adoles-
          cent.

          MTM : Cela fonctionne. Sembène dit au début du film : « Ce n’est pas nous
          qui présentons nos propres images, ce sont les autres qui créent les images des
          africains. J’ai un travail que j’aime. Et personne ne m’a demandé de le faire.
          Je le fais parce que je veux parler à mon peuple ». Dans cette déclaration di-
          recte et éloquente, Sembène se construit un rôle et un scénario. Le rôle d’un
         artiste qui est à l’origine de la culture et qui l’illumine, qui la transmet et qui
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