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Michael T. Martin, Samba Gadjigo & Jason Sylverman/ Solidarité médiatisée 557
les yeux de mon peuple, je parle en son nom ». S’il y a des moments de l’humble
docker, ouvrier, Sembène avait aussi un ego. Je ne pense pas qu’il aurait pu
faire tout ce qu’il a fait sans un ego massif.
SG : Je veux dire qu’il répète la même chose que Césaire, « je serai la bouche
des sans-bouche, et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai ».
MTM : Est-ce que cela témoigne de l’auto-agrandissement de Sembène,
comme quelque chose de plus qu’un travail, mais un travail qu’il a choisi de
faire et qui lui procure du plaisir, tout en jouant le rôle de l’artiste engagé.
SG : Oui.
JS : Je pense que c’est un signe d’autonomisation parce que les gens se trans-
mettent les emplois de l’un à l’autre. Dans votre famille, qu’étiez-vous censé
être, un maroquinier ou un éleveur d’ânes ?
SG : Un sculpteur sur bois.
JS : Sculpteur sur bois. Il a un travail qu’il fait. Personne ne lui a demandé de
le faire. Il a pris la décision de le faire. Donc nous avons une agence. Il y a un
message là-dedans, aussi.
SG : Sembène pensait que faire le travail que l’on doit faire n’empêche pas
d’en tirer du plaisir. Pour lui, un travail bien fait était aussi une source de plai-
sir. Il disait : « Pour moi, la création artistique est comme une kora ». Elle a
de nombreuses cordes et « je veux juste être libre de jouer de la corde que je
veux ». Pour Sembène, la musique pour le plaisir et le travail n’étaient pas
discrets ou exclusifs les uns des autres.
MTM : Samba, tu t’insinues dans l’histoire de Sembène, et ce faisant, tu de-
viens un protagoniste du récit.
SG : Oui.
MTM : Pourquoi cette approche ?
SG : Parce que Jason et moi avons réfléchi à la stratégie narrative à suivre et
sommes arrivés à la conclusion que la manière la plus convaincante et la plus
authentique de raconter l’histoire de Sembène était de la faire raconter par
quelqu’un qui l’a vécue de manière très intime. Après 17 ans de compagnon-
nage avec Sembène, d’invitations ouvertes à dîner chez lui, d’accès à ses do-

