Page 563 - Livre2_NC
P. 563

554                      FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2

             triser la langue du colonisateur, mais la deuxième phase voit l’apparition d’une
             protestation contre les mauvais traitements infligés par les forces françaises.
             Le processus de découverte, le colonisé s’efforçant de retrouver son passé.
             Alors qu’il était en exil, Senghor  a brillamment décrit ce processus dans
                                           15
             « Femme Noire  ». Mais Senghor s’arrête là et ne passe pas à la troisième
                           16
             étape. Pour Fanon, dans la troisième étape, l’écrivain, le travailleur culturel
             ne fait plus qu’un avec le peuple. Et je pense que c’est Fanon ou Lénine qui a
             dit : « Vous n’avez pas besoin de chanter des chansons révolutionnaires; faites
             la révolution et les chansons viendront ».

             JS : La carrière cinématographique de Sembène suit ce chemin : Borom Sarret
             est un film néoréaliste, Black Girl, la nouvelle vague française, suivi par de
             telles représentations de la rébellion dans Emitaï [1975], Xala [1975], Ceddo
             [1977], et Camp de Thiaroye [1988]. Puis ses films Guelwaar [1992], Faat
             Kiné [2000] et Moolaadé [2004] constituent la synthèse de la dialectique.

             MTM : L’arc de son travail est lui-même dialectique.

             SG : Oui.

             JS : Nous avons structuré le film de cette façon. Samba parle de la trilogie des
             rebelles. Ces choses doivent être submergées et subtextuelles, sinon vous pensez
             trop lorsque vous regardez le film et vous ne le ressentez pas. Mais c’est là.

             MTM : Oui, c’est là.

             SG : Nous avons envisagé d’organiser le film comme si vous étiez assis en
             classe avec des jeunes de 14 ans, donc nous l’avons encadré de manière à ce
             que tout le monde puisse le comprendre.

             MTM : Vous nous guidez à travers le film.

             SG : Et c’était l’universitaire en moi. Nous l’avons réduit à sa plus simple ex-
             pression et dans un langage accessible. Quand je dis « Ma grand-mère me ra-
             contait des histoires » et « j’ai découvert Sembène plus tard », cela explique
             l’arc de Fanon, sans le nommer.

             JS : Et vous étiez la grand-mère, l’aînée qui raconte l’histoire. Et la grand-mère
             ne raconte pas l’histoire de l’histoire. Elle n’analyse pas l’histoire. Elle vous
             raconte une histoire. C’est à propos de l’histoire. Et l’histoire est imprégnée de
             thèmes et d’informations dont vous aviez besoin pour coder le monde, et exister
             dans le cadre de votre culture.
   558   559   560   561   562   563   564   565   566   567   568