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Les tropes racistes de l'image de l'Afrique qui ont imprégné les films avant
1945 ont subverti la domination française dans la région à deux niveaux.
Leur représentation omniprésente d'africains bloqués dans un passé primor-
dial niait le « progrès » accompli par la mission civilisatrice, sapant ainsi la
légitimité du projet colonial. De plus, ces images alimentaient l'opposition
de la population concernée qui cherchait à arracher aux dirigeants impéria-
listes le contrôle de la construction de leur propre image. Les officiels fran-
çais voulaient articuler une nouvelle représentation de l'Afrique et des
africains qui parle de la bienfaisance de la domination coloniale, tout en
imbriquant les colonisés dans le projet de construction de leur propre mo-
dernité africaine francophone. Dans leur recherche d'un modèle de repré-
sentation pour la pratique cinématographique, les administrateurs d'Afrique
de l'Ouest ont adopté Paysans Noirs. Le film ne se contentait pas de résumer
la réalité imaginée de la situation dans la région, il la concrétisait par l'action
représentée à l'écran. En outre, le film avait l'avantage d'illustrer la compo-
sante matérialiste du complexe industriel du cinéma par ses mécanismes de
financement, la manière dont le film a été produit et l'utilisation d'acteurs
locaux.
La modernité africaine que les dirigeants français ont cherché à
faire naître dépendait de l'articulation d'un langage cinématographique et
de la promotion du français comme lingua franca de la Fédération. L'idiome
du cinéma colonialiste consistait à structurer le film par de nombreux plans
de paysages africains, de la vie quotidienne, des gros plans sur les indigènes,
et un rythme délibéré (voire lent). Le récit devait typiquement progresser à
partir d'un moment idyllique perturbé par l'imposition d'une tyrannie ou la
violation d'une tradition qui générait le désordre, l'oppression et empêchait
le développement de la culture locale. Par la suite, un fonctionnaire français
est arrivé, imprégné d'un sens du sacrifice moral, et qui était déterminé à
comprendre réellement la communauté indigène. Au cours de cette enquête
minutieuse, le fonctionnaire a souvent trouvé des collaborateurs parmi le
groupe autochtone et, ensemble, ils ont surmonté les forces qui entravaient
la culture. En ce qui concerne le dialogue proprement dit, l'utilisation du
français était encouragée, dans la mesure du possible, en tant que véhicule
permettant de transmettre les idées, les valeurs et les pratiques associées à
la modernité à la population indigène. Par conséquent, à la fin de l'ère co-
loniale, les fonctionnaires français avaient élaboré un régime de représen-
tation et un contexte matérialiste qui structuraient le complexe industriel
cinématographique de manière à préserver le pouvoir de la métropole dans
la Fédération. Simultanément, ces paramètres ont été façonnés par l'enga-
gement des activistes culturels et des cinéphiles africains qui ont cherché à