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société expliquait que: « Au regard de notre monde moderne et des effets
de sa civilisation, l'Afrique reste encore en notre siècle un des continents
où l'on retrouve la vie sans âge de la nature éternelle ... On y trouve encore
des tribus aux mœurs primitives ». La demande poursuivait : « Toute cette
beauté de la nature, concrétisée par la vie qui s'y déroule, donne à l'Afrique
une attraction telle que des spectateurs s'y rendent de tous les points du
monde pour jouer avec le spectacle qu'elle leur offre ». Les Films Pierre
Cellier Dakar voulaient faire un film centré sur une « chasse » où les occi-
dentaux affrontaient de « grandes bêtes ». Toutefois, de peur que l'on ne
pense qu'il s'agit d'un film colonial typique de l'entre-deux-guerres, les au-
teurs du traitement ont rassuré les lecteurs en leur expliquant que leur his-
toire présentait ces occidentaux comme des dilettantes qui menaçaient
l'avenir de l'Afrique en tuant sans discernement la faune et en perturbant
ainsi le mode de vie naturel des habitants. Ces actions, par conséquent, sa-
paient la mission civilisatrice en causant du désordre et en discréditant le
travail des « bons européens » en Afrique. Le message ultime du film
concernait la nécessité de « sauvegarder » le mode de vie des africains (et
la mission civilisatrice) ainsi que la « conservation » du monde naturel qui
était le contexte dans lequel les cultures locales ont été façonnées et la mo-
dernité doit se développer . Comme pour la proposition précédente, il est
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peu probable que ce film n’ait jamais été réalisé, surtout à une époque de
bouleversements considérables dans la Fédération ainsi qu'en France même.
Néanmoins, il confirme que l'État colonial avait effectivement articulé un
langage cinématographique qu'il jugeait approprié pour ses objectifs dans
la région.
Au-delà de la considération du cinéma comme étant une langue
et de développer une grammaire cinématographique colonialiste particu-
lière, le gouvernement de la Fédération a pris l'idée de « langue » dans le
cinéma au pied de la lettre et a voulu s'assurer que le français était promu
par le complexe industriel du cinéma comme la lingua franca de la région.
Ainsi, l'idiome du dialogue est devenu un point de préoccupation majeur
pour les fonctionnaires coloniaux lorsqu'ils se sont engagés dans le domaine
cinématographique à la fin de la période coloniale. En fait, cette dimension
du régime de représentation construit dans le cadre du complexe industriel
du cinéma dans les années 1950 a constitué l'un des obstacles structurels
les plus importants au développement d'un cinéma « africain » indépendant
dans la période postcoloniale. Comme on peut le lire dans une déclaration
publiée en 1949 par M. Bouruet-Aubertot dans le Bulletin du Conseil Eco-
nomique pour l'Afrique Occidentale Française, « le cinéma sert, notamment