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James E. Genova / Le régime colonialiste 61
dans les territoires d'outre-mer, de moyen d'expression et de diffusion de
l'intelligence et de la pensée françaises ». Le cinéma doit être utilisé, écrit-
il, « comme une force » unissant le peuple français et ceux des territoires
de l'Union Française . Le principal moyen par lequel la pensée française
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serait diffusée et l'unité préservée entre la métropole et ses colonies était la
promotion de la langue française en tant que véhicule de la culture et mode
de communication qui devait définir les paramètres d'un monde franco-
phone .
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La préoccupation du gouvernement colonial concernant la
langue des dialogues dans les films projetés dans toute l'Afrique de l'Ouest
allait au-delà de la simple censure des films en arabe (peut-être la langue la
plus dangereuse du point de vue de ces fonctionnaires) pour devenir une
véritable promotion du cinéma en tant que moyen d'attirer de plus grandes
sections de la population dans l'univers francophone. Grâce à ce dévelop-
pement, les projets de modernisation envisagés par l'administration pour-
raient être subrepticement promus et les africains en viendraient à
considérer ces processus comme les leurs, un principe de base de la mission
impériale re-conceptualisée en ce qui concerne le cinéma dans les années
1950. Comme le déclarait le Conseil Economique de l'Afrique Occidentale
Fançaise (CEAOF)quelques jours après que Bouruet-Aubertot eut pré-
senté son évaluation, « le cinéma sera pour la France le meilleur agent de
propagande et d'expansion de la pensée française ». L'essai esquissait même
toute la portée du cadre de représentation que l'administration coloniale
était en passe d'articuler. Le Conseil Economique suggérait : Tout d'abord,
la production de films doit être établie selon le principe de la convergence
avec la mentalité des différentes populations. On pourrait envisager cer-
taines productions avec la participation des populations autochtones, sur
l'histoire locale, l'art et la danse, le chant, les activités quotidiennes des po-
pulations, etc ». Cette explication de l'aspect représentationnel du com-
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plexe industriel cinématographique aurait tout aussi bien pu être prononcée
par Delavignette, et le fait qu'elle arrive l'année de la sortie de Paysans
Noirs constitue une approbation du type de film que les fonctionnaires de
toute la hiérarchie impériale ont adopté comme modèle dans leur politique
cinématographique.
Cependant, le simple doublage des films en langue étrangère en
français ne suffit pas à atteindre les objectifs envisagés par le gouvernement
de la Fédération. En fait, les films doublés suscitaient souvent la méfiance
et l'approbation du CCFC. John Belton aborde les problèmes épistémolo-