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             giques du « doublage » dans son analyse de l'impact de la technologie sur
             l'esthétique cinématographique. Il écrit :
                De même, le doublage, et en particulier le doublage des films étrangers dans
                lesquels on voit une langue parlée mais on en entend une autre, est « lu » par
                le public comme faux... L'intervention assez évidente de la technologie dans le
                doublage circonscrit sévèrement notre foi dans le son et l'image, provoquant
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                une crise de leur crédibilité  .

                       Pour les officiels français, le doublage n'a pas réussi à atteindre
             le double objectif de promouvoir la langue française et d'empêcher la pro-
             pagation d'un discours subreptice et potentiellement séditieux grâce aux
             nuances contenues dans d'autres langues vernaculaires. Dans les films dou-
             blés, la langue superposée semblait souvent étrangère et inauthentique. De
             plus, les spectateurs pouvaient toujours suivre la langue originale en lisant
             sur les lèvres des acteurs à l'écran, s'ils étaient versés dans cet idiome.
                       Le problème du doublage des films en langue arabe sur le fran-
             çais, était particulièrement troublant pour de nombreux fonctionnaires, char-
             gés de réglementer le cinéma. C'était particulièrement vexant « parce que
             les commentaires en langue arabe déposent souvent des textes défavorables
             et contiennent des allusions [qui sont] hostiles ou du moins défavorables à
             la cause des pays qui, comme la France, administrent des populations arabes
             (nationalisme égyptien) . Les dirigeants coloniaux français et leurs homo-
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             logues métropolitains ont conféré à la langue des pouvoirs quasi mystiques.
             Les mots ne sont pas seulement porteurs de significations culturellement
             spécifiques, la structure linguistique véhicule également l'esprit national  .
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             Par conséquent, la superposition de la narration française sur un dialogue
             étranger (en l'occurrence arabe) crée une double aliénation : la langue dou-
             blée superposée apparaît comme artificielle et déconnectée de l'action à
             l'écran, tandis que l'idiome original reste déchiffrable pour les spectateurs
             avertis (même s'il est réduit au silence dans le déroulement des scènes) et
             se manifeste comme une anthèse du mode d'expression imposé. Un texte
             cinématographique dialogique a été forgé, et renforce les  capacités  de
             résistance  de  la  langue  redoutée  tout  en  diminuant  la  voix  autoritaire
             (littéralement dans ce cas) du dialecte ajouté.
                       Mikhail Bakhtin offre une explication de la nature dialogique
             du langage qui est utile pour la discussion actuelle. Il écrit : « Les mages
             du langage sont inséparables des images des diverses visions du monde et
             des êtres vivants qui en sont les agents ; des gens qui pensent, parlent et
             agissent dans un cadre social et historiquement concret  ». Pour Bakhtin,
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