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62 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
giques du « doublage » dans son analyse de l'impact de la technologie sur
l'esthétique cinématographique. Il écrit :
De même, le doublage, et en particulier le doublage des films étrangers dans
lesquels on voit une langue parlée mais on en entend une autre, est « lu » par
le public comme faux... L'intervention assez évidente de la technologie dans le
doublage circonscrit sévèrement notre foi dans le son et l'image, provoquant
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une crise de leur crédibilité .
Pour les officiels français, le doublage n'a pas réussi à atteindre
le double objectif de promouvoir la langue française et d'empêcher la pro-
pagation d'un discours subreptice et potentiellement séditieux grâce aux
nuances contenues dans d'autres langues vernaculaires. Dans les films dou-
blés, la langue superposée semblait souvent étrangère et inauthentique. De
plus, les spectateurs pouvaient toujours suivre la langue originale en lisant
sur les lèvres des acteurs à l'écran, s'ils étaient versés dans cet idiome.
Le problème du doublage des films en langue arabe sur le fran-
çais, était particulièrement troublant pour de nombreux fonctionnaires, char-
gés de réglementer le cinéma. C'était particulièrement vexant « parce que
les commentaires en langue arabe déposent souvent des textes défavorables
et contiennent des allusions [qui sont] hostiles ou du moins défavorables à
la cause des pays qui, comme la France, administrent des populations arabes
(nationalisme égyptien) . Les dirigeants coloniaux français et leurs homo-
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logues métropolitains ont conféré à la langue des pouvoirs quasi mystiques.
Les mots ne sont pas seulement porteurs de significations culturellement
spécifiques, la structure linguistique véhicule également l'esprit national .
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Par conséquent, la superposition de la narration française sur un dialogue
étranger (en l'occurrence arabe) crée une double aliénation : la langue dou-
blée superposée apparaît comme artificielle et déconnectée de l'action à
l'écran, tandis que l'idiome original reste déchiffrable pour les spectateurs
avertis (même s'il est réduit au silence dans le déroulement des scènes) et
se manifeste comme une anthèse du mode d'expression imposé. Un texte
cinématographique dialogique a été forgé, et renforce les capacités de
résistance de la langue redoutée tout en diminuant la voix autoritaire
(littéralement dans ce cas) du dialecte ajouté.
Mikhail Bakhtin offre une explication de la nature dialogique
du langage qui est utile pour la discussion actuelle. Il écrit : « Les mages
du langage sont inséparables des images des diverses visions du monde et
des êtres vivants qui en sont les agents ; des gens qui pensent, parlent et
agissent dans un cadre social et historiquement concret ». Pour Bakhtin,
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