Page 253 - LES FLEURS DE MA MEMOIRE ET SES JOURS INTRANQUILLES_Neat
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La Vicomtesse intervint aussitôt, expliquant à M. Zumsteg avec une
certaine dose d’insolence que ce vol ne concernait qu’elle seule, parce que moi,
Madame Régine, je rentrai à Paris en train. Elle s’exprimait comme si je
dédaignais prendre l’avion. Puis, elle avait ajouté qu’il suffisait de me déposer à
la gare, me coller un magazine dans les mains en attendant l’heure tardive du
train via Paris, mais surtout veiller à ce qu’aucun Zurichois ne m’embarque,
puisque je devais être au studio dès le lendemain à la première heure. Elle
m’avait tendu un petit paquet avec un grand sourire, j’avais le mince espoir que
ce soit un cadeau, probablement une montre suisse, on peut toujours rêver,
mais elle me ramena à la réalité en m’expliquant qu’il s’agissait d’un sandwich
acheté à Lausanne, qu’elle n’avait finalement pas touché, puisqu’elle avait
déjeuné en compagnie de M. Zumsteg.
Celui-ci, sidéré du comportement de mon employeur, se proposa de
déposer mon bagage dans l’entrée, et demanda à son directeur de me faire la
visite de la ville en voiture, pour me déposer ensuite au restaurant « Die
Kronenhalle » dont il était l’heureux propriétaire. Après la visite de la ville, je
ne m’attendais pas à un tel accueil dans ce magnifique lieu si réputé, et le
souvenir de ce fabuleux dîner et surtout le goût de cette mousse au chocolat
inoubliable, que l’on me fit apprécier une seconde fois. M. Zumsteg vint me
tenir compagnie durant le dîner. Il m’avait fait la conversation, racontant son
parcours artistique à Paris dans sa jeunesse, ainsi que celui de son ami Marc
Chagall. Il avait une âme d’artiste que l’on pouvait retrouver sur les tableaux de
célèbres peintres qui ornaient les murs du restaurant, et l’on retrouvait la
« patte » de Giacometti qui s’était occupé de la décoration des toilettes. Je n’ai
jamais su s’il s’agissait de vrais ou copies de tableaux, mais ce lieu était un
véritable musée où l’art s’harmonisait à la gastronomie. Je terminais cette
soirée en compagnie de M. Zumsteg, qui me fit profiter d’un excellent cocktail
servi dans son célèbre bar situé à côté du restaurant, L’heure du départ
approchait et il me fit déposer à la gare par son chauffeur.
En arrivant tardivement au studio le lendemain, j’eus droit à une
remarque désagréable de mon employeur. Je me justifiais expliquant que j’étais
rentrée chez moi dans la nuit, puisque le trajet retour s’était réalisé dans ce
tortillard de campagne auquel s’ajoutait un manque de sommeil. Elle tenta
alors de changer de sujet de conversation, pour aborder celui de sa journée à
Zurich qu’elle raconta au directeur artistique et de son agréable déjeuner en
compagnie de M. Zumsteg dans ce sublime restaurant de Zurich, dont il était
propriétaire. Je me permis alors de lui confirmer ses propos expliquant que
c’était une véritable annexe du Louvre, et elle semblait ne pas saisir le sens de
ma phrase.
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