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favorable.  Pour  la  somme  manquante,  je  pus  compter  sur  l’aide  spontanée  d’une  amie  de
               longue date qui, sous des airs de pauvresse, était riche comme Crésus. Mon amie Chelsea,
               même  si  elle  ne  disposait  d’aucune  garantie  formelle  de  retrouver  ses  deniers,  tenait  à
               s’associer à l’exécution de mon projet, pour moi à qui elle témoignait autant de confiance que
               d’attachement.
               Dès que j’eus acheté la maison, je la mis au nom de Fabien et signai un contrat, toujours à son
               nom,  pour  l'ancienne  clinique  d’accouchement,  dirigée  jusqu’à  sa  fermeture  par  une
               demoiselle  Jaccard,  propriétaire  du  lieu,  sage-femme  de  son  état,  ce  qui  me  prit  quelques
               semaines. Fébrile, j’appelai mon amoureux resté à Paris. Cet appel devait être l’épreuve de
               vérité dont je n’étais pas certaine de sortir gagnante : « Tu es propriétaire d'une maison en
               Haute-Savoie et d'un cabinet prêt à être rapidement fonctionnel ; si tu m'aimes vraiment, alors
               je t'attends ici, sinon adieu à jamais. » C’était en juillet 1977…
               Dans les quelques jours qui suivirent mon appel, Fabien s’exécuta ; il prit congé des siens,
               comment ? Cela restera pour moi un mystère. Il liquida ses affaires courantes, prépara son
               déménagement important, pour arriver en terre savoyarde escorté de deux camions, enjoué,
               apparemment très heureux. Je n’en croyais pas mes yeux : j’étais au zénith de mes aspirations,
               de mes espoirs d’une nouvelle vie que j’espérais à l’avenir heureuse.
               Après tous les aléas rencontrés en même pas trente ans d’existence, j’allais enfin connaître,
               espérais-je, le prix du bonheur. Mes efforts promettaient de porter leurs fruits, et l’homme que
               j’avais choisi d’aimer pour la vie s’y associait en m’offrant une jolie preuve d’amour : quoi de
               plus beau ? Que demander de plus ? Je rêvais aussi mariage, me projetant dans un avenir de
               femme rangée qui pourrait avancer sur la route d’un futur paisible, d’une existence digne et
               bourgeoise. J’aurais pu pourtant choisir pourquoi pas J.L. qui, juste avant mon départ, m’avait
               proposé de m’établir dans un appartement au centre de ce Paris où, pour toujours, je n’aurais
               manqué de rien…
               J’avais refusé sa proposition pourtant très alléchante au profit, me semblait-il, d’une vie de
               femme plus conventionnelle, accompagnée d’un homme que j’aimais qui me serait dévoué,
               proche de moi dans les bons et mauvais jours : la vie d’un couple traditionnel…
               Dans  le  futur  nid  d’amour  que  j’avais  décidé  d’aménager  pour  Fabien  et  moi,  tout  était  à
               refaire. Nous avions la liberté de décider de l’affectation des pièces, de choisir les matériaux,
               d’aménager  sur  mesure  ce  lieu  qui  nous  accueillerait.  Dans  l’état  ou  j’avais  acquis  cette
               maison,  il  n’était  même  pas  question  d’y  dormir  avant  des  mois.  Nous  nous  étions  donc
               installés  provisoirement  dans  l’ancienne  clinique  louée  pour  en  faire  le  nouveau  cabinet
               paramédical de Fabien. Dans l’immédiat, deux pièces furent agencées en cabines de soins, la
               troisième,  en  chambre  à  coucher  de  fortune.  Cette  pièce  serait  retransformée  en  bureau  et
               pièce d’accueil pour les patients, le jour de notre emménagement dans notre propre maison,
               dès que les travaux entrepris nous le permettraient.
               Le démarrage du cabinet fut laborieux, nécessitant imagination, audace et persévérance chez
               mon  compagnon. Tous les matins, il partait par  monts  et  par vaux distribuer ses  cartes de
               visite pour se faire connaître. Puis ce fut l’accueil des tout premiers patients : après des débuts
               discrets, l’incertitude des heures passées  à attendre, le cabinet  promettait d’acquérir petit à
               petit une certaine notoriété. Dès le matin, seule, j’y faisais office de secrétaire, prenant les
               rendez-vous.  L’après-midi,  j’encaissais  les  honoraires  des  premiers  patients  tout  en
               m’occupant de l’intendance. Fabien, lui, mettait ses nouveaux clients à l’aise, parfois même
               un  peu  trop  à  mon  goût.  Il  avait  en  effet  le  tutoiement  facile,  ce  qui  ne  me  plaisait  pas
               forcément,  car  je  n’appréciais  pas  cette  forme  de  familiarité  qui  commençait  à  créer  entre
               nous une certaine tension. En fin d’après-midi, Fabien effectuait des visites à domicile. Le
               bouche  à  oreille  déployait  favorablement  ses  effets,  d’autant  qu’il  était  le  seul
               kinésithérapeute à des kilomètres à la ronde et que les médecins des alentours, qu’il avait tous
               visités, lui apportaient une collaboration très appréciable.

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