Page 111 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
P. 111

laissa le souvenir d’une poignée de main à vous broyer les os, une horreur : j’avais dû me
               retenir pour ne pas la gifler !
               Dans  les  semaines  qui  suivirent,  sa  mère  dut  venir  pour  une  série  de  soins  au  cabinet  de
               Fabien,  où  nous  eûmes  tout  loisir  de  faire  plus  ample  connaissance.  Toutes  deux
               nouvellement installées dans la région, nous nous liâmes rapidement d’amitié. D’allure très
               féminine,  je  représentais  pour  elle  l’archétype  de  la  femme  irrésistible  qu’elle  ne  pouvait
               s’empêcher de courtiser, ce qui me dérangeait et souvent m’agaçait tout au long de notre long
               et  mutuel  attachement  durant  de  nombreuses  années.  Pendant  les  premiers  mois  de  cette
               amitié naissante, elle ne pensa pas un instant que la femme qu’elle admirait tant puisse être
               transsexuelle.  Bien  plus  tard,  lorsque  je  le  lui  appris,  espérant  refréner  ses  ardeurs
               oppressantes, ma révélation ne lui fit ni chaud ni froid et son comportement ne changea guère.
               Elle continua ses parades nuptiales, tel un lion espérant que sa lionne se mette à tourner en
               rond  autour  de  lui  tout  en  grognant  doucement  pour  qu’enfin  il  puisse  l’honorer.  Parades
               perdues d’avance qui jamais n’aboutiraient…
               Un soir d’hiver, dès que notre maison fut en état de recevoir, j’invitai Renée-Claude, qui fut la
               première convive à découvrir notre univers. Ce soir-là j’avais, avec fantaisie et délicatesse,
               dressé  une  table  magnifique  :  nappe  et  serviettes  blanches,  ornées  de  monogrammes,
               emblèmes familiaux de Fabien, argenterie, vaisselle fine et verres de cristal ciselés, quelques
               chandelles pour créer une ambiance feutrée et rehausser la table, ornée en son centre d’une
               jardinière de porcelaine emplie de fleurs.
               En attendant Fabien qui tardait à nous rejoindre, nous nous étions installées côté salon, où
               nous  faisions  plus  ample  connaissance,  confortablement  assises  dans  le  canapé,  face  à
               l'immense cheminée circulaire dans laquelle le feu crépitait joyeusement.
               Quand enfin mon époux arriva, il salua courtoisement Renée-Claude, qu'il invita sans tarder à
               passer à table. Puis il s’assit lui aussi. Sans un mot, il expédia son repas, se leva et lança :
               « Excusez-moi : je suis fatigué, je vais me coucher. » Cet épisode marqua tellement mon amie
               qu’elle me le rabâchera tel un leitmotiv durant des années, comme pour me faire comprendre
               que cet homme n’était pas fait pour moi. Mais ce soir-là, je n’y pensais pas encore : j’excusais
               Fabien, imaginant qu’après une journée harassante, il avait naturellement préféré s’éclipser,
               plutôt que de regarder Renée-Claude me couver de ses regards pour le moins équivoques…


               Un coup de foudre : Le Loup blanc

               Notre installation dans la région avait jusque-là mobilisé toutes nos énergies.
               Après notre emménagement définitif dans la maison, dès que le temps le permettait, Fabien et
               moi chevauchions nos motos de trial pour découvrir les alentours de cette magnifique région
               de Haute-Savoie et parcourir ces réserves naturelles de prairies où l’on peut voir des vols de
               grands rapaces qui planent et tournoient très haut, les ailes largement étendues. Dans les forêts
               et  les  alpages,  on  peut  croiser  des  chamois  et  des  bouquetins.  Au  cours  d’une  de  ces
               échappées, nous avions emprunté la voie romaine située dans les hauteurs de Taninges, vieux
               chemin pavé par les Chartreux de Mélan au XIIIe siècle qui accueillit plus tard un couvent de
               moniales. Cette voie pavée, dont il reste une infime trace de plus de 800 mètres de dénivelé en
               pleine forêt, débouche sur les herbages du Praz de Lys, à 1500 mètres d´altitude, d’où l’on
               peut  admirer  un  paysage  dégagé,  offrant  un  splendide  panorama  sur  les  montagnes
               environnantes face à la somptueuse chaîne du Mont-Blanc éternellement enneigée.
               C’est sur le trajet du retour en direction de Taninges qu’à mi-parcours, je repérai à flanc de
               route,  entouré  de  sapins,  un  peu  en  contrebas,  un  ancien  refuge,  relique  des  années  1900.
               Cette bâtisse pastorale, typiquement savoyarde, mêlant pierre sèche et bois, m'intrigua par son
               caractère rustique et régional. Cet abri de bonnes dimensions qui avait accueilli pendant des
               décennies  bergers  et  troupeaux  en  transhumance  pour  l'alpage,  avait  été  reconverti  depuis

                                                                                                     111
   106   107   108   109   110   111   112   113   114   115   116