Page 116 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
P. 116
j’avais construit seule avec opiniâtreté. Peut-être était-il même devenu jaloux des liens de
confiance et de reconnaissance que j’avais réussi à créer si difficilement avec ses propres
parents ?
Prompte à tirer les conclusions qui s’imposaient, aussi douloureuses fussent-elles, au moment
où je pris conscience du désastre dans lequel Fabien m'avait précipitée, je décidai purement et
simplement de fermer l’établissement. Il me fallut un singulier courage pour tirer un trait sur
ce qui aurait pu être une fabuleuse réussite, aussi bien pour lui que pour moi !
Les efforts colossaux accomplis jour après jour n'avaient servi à rien… Blessée au plus
profond de moi-même, j’allais devoir à nouveau faire face à l'inconnu.
Reconstruire, encore et toujours, en aurais-je la force ?
Avec l’aide de ma fidèle amie, dans le courant 1982, je rangeai, nettoyai, liquidai ce qui
devait l’être, et recouvris de draps blancs, comme on recouvre les morts, ce mobilier qui
désormais allait être laissé à l'abandon. La plupart des volatiles furent rapportés à leur
vendeur. Restait le superbe coq combattant chinois, celui-là même qui m'avait toujours
attaquée, et dont personne ne voulait. Lâché dans la nature, il n'aurait sûrement pas survécu.
Je me décidai, la mort dans l'âme, à lui trancher la tête. Munie d’une hache, je l’empoignai
pour le décapiter. D'une main tremblante, dans un premier temps, je le manquai. Estropié,
l'animal déployait ses dernières forces. Cet assassinat, que j’aurais voulu net et décisif, aussi
bref que possible, n’en finissait pas. A travers l'exécution de cet animal irréductible et fier,
symboliquement peut-être, n’était-ce pas ma propre agonie que je mettais inconsciemment en
scène, ainsi que celle du Loup blanc ?
Le vent avait tourné. La série noire dont je ne me relèverais plus jamais venait de commencer.
Elle avait débuté par la fermeture définitive de mon restaurant. Suivit, juste après, la
révélation d'une trahison de taille, elle aussi sur arrière-fond de mesquineries, d’embarras et
de non-dits.
Alors que je méditais sur mon avenir en buvant un petit café au bar de la place de St-Gy, je
fus, avec force précautions, prise à partie par la propriétaire du bar que je connaissais bien.
Embarrassée, consciente du caractère ravageur de l'information, Patricia m’annonça que mon
mari me trompait. Au fond de moi, je l’avais toujours pressenti, mais comment me trompait-
il ? Et avec qui ? Mystère. Je n'allais pas tarder à le savoir ! Fabien avait jeté son dévolu sur
une très jeune femme des parages, déjà mère de trois enfants, tous de pères différents. Cette
liaison datait probablement de l'ouverture du Loup blanc. Urbi et orbi, la nouvelle élue
annonçait, à qui voulait l'entendre, sa prochaine installation dans la maison de son amoureux.
La brutale fracture infligée à mon cœur, soudain concentrée et amplifiée par cette révélation,
me tétanisa. Avec une violence inouïe, je ressentis l’écho de toutes mes souffrances, de toutes
mes pertes passées.
D'un seul coup, je pris conscience de la raison évidente de toutes ces écœurantes manigances
dont je pâtissais. Aussi, avec la méthode et la violence de ceux qui n’ont plus rien à perdre,
j’allais réagir…
La nuit précédant la dernière que j’allais passer avec Fabien se déroula dans une ambiance
lourde et douloureuse, oppressante pour lui comme pour moi. Cette dernière confrontation, ce
face à face, je l’aurais voulu sans heurts, souhaitant juste qu’il réponde clairement à mes
questionnements, mais ce ne fut qu’un monologue sans réponses. Face à lui, pas à pas, je
cherchai à lui soutirer la vérité. Aimait-il vraiment cette femme ? Voulait-il refaire sa vie avec
elle ? Fallait-il que je disparaisse de sa vie ? Une explication franche et sans détours m’aurait
certainement permis de tourner la page sans trop de dégâts. Mais je me trouvais devant un
autiste profond muré dans le silence, un mollusque au mutisme impitoyable. Alcool, fumée et
pilules ne faisaient qu'augmenter mon désarroi intérieur. Au petit matin, Fabien, toujours
aussi insaisissable, n’en menait pas large mais n'avouait toujours rien, fuyant toutes mes
interrogations comme d’habitude. Quand il voulut bien ouvrir la bouche, ce fut uniquement
116