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pour dénaturer le sens des mes questions, rejeter systématiquement sur moi la responsabilité
               des fautes commises. Au petit matin, il finit par aller se coucher sans un mot et comme si rien
               ne s’était passé. Bouleversée, anéantie, complètement démunie, à la recherche de la vérité, je
               décidai d’en avoir le cœur net.
               Le jour s’était levé ; mortifiée, je décidai de me rendre chez ma rivale. Je roulai à vive allure
               sur cette petite route sinueuse en direction de la station de sports d'hiver des Brasses. Le petit
               bourg où habitait cette femme était situé à 5 km de St-Gy. Arrivée sur les lieux au milieu de
               nulle part, entre alpages et forêt, le cœur battant la chamade, je me garai devant une maison
               traditionnelle savoyarde, ancienne bergerie  faite de pierre mais surtout de bois, légèrement
               dégradée par le temps, apparemment esseulée. Je tambourinai du poing à la porte. Une jeune
               femme de taille moyenne, très commune, aux cheveux noirs gras et longs, encore endormie,
               l’air hébété,  finit  par ouvrir la porte. Sans lui  laisser le  temps  de parler et  sans  même me
               présenter, de but en blanc, je lui demandai si elle aimait Fabien. A ma grande stupeur, mon
               interlocutrice se montra dès le premier abord aussi peu catégorique, aussi inconsistante, aussi
               molle que mon époux. Après un court silence, elle répondit tout de même à ma question :
               jamais  elle  n’avait  rencontré  aucun  homme  comme  celui-là,  aussi  prévenant,  généreux  et
               doux, mais elle ne savait pas si elle l'aimait…
               C'était un comble ! Sans l'ombre d'une émotion apparente, cette femme démolissait ma vie
               conjugale symbole de concessions, d'illusions et d'espoirs. A mon ultime question : « Avez-
               vous toujours l’intention de vous installer chez Fabien, dans ma maison ? »  sans équivoque,
               elle répondit : « Oui bien sûr, c'est ce qui est prévu. » C’en était trop ! Epuisée, écœurée, à
               bout de forces, je m'en retournai chez moi, dans cette demeure qui extérieurement ne payait
               pas  de  mine,  mais  dont  j’avais  façonné  l’intérieur  de  mes  mains,  soignant  à  mon  goût  les
               moindres  détails.  Une  dernière  fois,  je  considérai  ce  nid  que  j’avais  imaginé  comme  un
               aboutissement,  un  lieu  que  j’avais  voulu  empli  de  bonheur.  Fourbue,  désillusionnée,  ne
               sachant plus qui j’étais, je me couchai accablée. Entre cauchemar et réalité, j’imaginai alors
               les représailles que j’allais mettre à exécution pour me laver de cette trahison.
               A mon réveil, avec un mélange de froideur et d’ardeur, je commençai par trier les objets en
               fonction du sort que je leur réservais. Toutes mes affaires personnelles ainsi que ce qui avait
               été  acquis  à  deux  serait  évacué  ou  détruit.  Ce  qui  appartenait  en  propre  à  Fabien,  je  n’y
               toucherais pas. D’un pas rapide et déterminé, je me rendis à l’hôtel-restaurant juste en face de
               ma maison. J’y annonçai à la cantonade que si quelqu’un souhaitait profiter de l’aubaine et
               récupérer des objets, c’était le moment.
               Plus tout à fait moi-même, je revins chez moi, jetai longuement un dernier regard sur tout ce
               qui m’entourait, puis ce fut le déchaînement : ma raison m’échappa. Amertume, souffrance,
               déception, rage, allaient exploser en une apothéose de furie destructrice. Après avoir entassé
               sur le bas-côté de la  route divers ustensiles  et  objets  décoratifs  qui  continueraient leur vie
               ailleurs, objets que j’offris ultérieurement aux gens de l’hôtel-restaurant d’en face, j’entamai
               mon  saccage.  La  vaisselle  vola  en  éclats,  les  abat-jours  furent  défoncés,  les  souvenirs
               personnels, brisés eux aussi. Allant même jusqu'à casser les cadeaux reçus de ma mère, je
               fracassais mon âme. Même les meubles y passèrent. Armée d’une masse, je détruisis tout ce
               qui me tombait sous la main, du sol au plafond. Comme un bureau en bois massif me résistait,
               j’allai chercher une scie pour le découper. Non, aucune autre femme ne s’installerait dans ma
               maison telle que je l'avais conçue et décorée ! Je préférais tout sacrifier, mettant en scène la
               dévastation intérieure que je subissais, et dont je réalisais un spectacle violent, douloureux,
               effarant. La bataille n’en finissait pas. En toute fin d'après-midi, Fabien eut l’imprudence de
               pointer le bout de son nez ; il reçut une brique de lait qui lui éclata à la figure. Dégoulinant, il
               battit  en  retraite  et  téléphona  à  sa  mère  pour  qu'elle  lui  vienne  en  aide.  Cette  dernière
               m’appela  aussitôt :  « Ma  petite  Peggy,  vous  êtes  devenue  complètement  folle,  il  faut  vous
               raisonner, vous calmer ! » Mais pas d’humeur à subir une leçon de morale, je coupai court.

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