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différents. L’amour quasi inconditionnel des premiers temps que j’éprouvais pour lui, jusqu’à
faire abstraction de moi-même, s’effilochait.
En fait, le Loup Blanc m’avait rendu mon moi, ma véritable personnalité, faite
d’indépendance, d’une allure qui m’était propre, car j’y évoluais comme sur une scène,
entourée d’un public conquis par mes prestations.
Fabien, lui, sans que ceux qui le côtoyaient ne le connaissent vraiment, de par son apparence
qui en imposait et sa personnalité qu’il voulait joviale, avenante, familière, mais qui n’était
qu’une attitude trompeuse, suscitait la sympathie des villageois et subjuguait tout
particulièrement les femmes, les patientes de son cabinet aussi bien que celles qu’il croisait au
hasard de ses sorties en solitaire.
Lors de mes allées et venues de mon auberge à notre maison de St-Gy, je faisais parfois de
désagréables découvertes. Un jour, je trouvai, venu de Paris sans crier gare, un couple d'amis
installés comme chez eux, sans que personne ne m'ait avertie de cette visite impromptue. Le
couple avait sans complexes vidé l’armoire de ma chambre de mes effets et vêtements
personnels pour y ranger les siens. Bien d’autres épisodes à intervalles différents tous aussi
inattendus se succédèrent, comme celui de la poubelle de la salle de bains, dans laquelle je
trouvai une serviette hygiénique souillée de sang qui ne pouvait pas m’appartenir. Une autre
fois encore, quelle ne fut pas ma stupéfaction, à mon arrivée, de tomber nez à nez sur deux
demoiselles toutes pimpantes, confortablement installées dans le canapé moelleux du salon,
qui attendaient impassiblement mon mari ! Toutes ces déconvenues, comme tant d'autres,
restèrent systématiquement dépourvues d'explication de la part de l'intéressé.
Pour moi qui n'ai jamais été une femme de gauche, l'année 1981 qui consacra François
Mitterrand à la présidence de la république française marqua le début d'un déclin qui n'en
finirait plus jusqu’à nos jours. L’avènement de l’icône du socialisme inspira
incontestablement un changement des mentalités. Ceux qui avaient élu le président dans la
liesse déchanteraient pourtant quelques années plus tard, en découvrant eux aussi que des
milliers de personnes avaient été placées sur écoute, et que leur idole, résistant de la dernière
heure, avait été décoré de la Francisque par le Régime de Vichy.
Aussi absurde que cela paraisse, d’aucuns voyaient en moi un symbole capitaliste ; il fallait
beaucoup d’imagination et un sectarisme certain pour en arriver là. C’était dans l’air du
temps… Histoire de convictions politiques ? Expression d’une hostilité d’ordre personnel ?
Deux employés que j’avais engagés, rangés du côté du nouveau gouvernement, m’en
voulaient à mort. Dès lors, tout un tas de petits larcins, de vols, déprédations, dégradations
furent commis au sein de mon établissement.
Toutefois, malgré ces aléas, Le Loup blanc représentait une belle réussite économique. J’avais
pourtant commis une erreur : Fabien avait pris en main la comptabilité et tout ce qui
concernait la partie administrative de l'affaire…
Et le charme opéra…
Du temps que Fabien et moi vivions encore à Paris, mes beaux-parents avaient appris,
mécontents, une partie du passé sulfureux de celle qui avait conquis le cœur de leur unique et
bien aimé héritier ! Dans un premier temps, ils avaient donc décidé de tout faire pour se
débarrasser coûte que coûte de cette femme indigne de leur fils chéri et de leur famille. Pour
eux - et je les comprenais - cette femme au passé trouble, mystérieuse et encombrante, artiste
transsexuelle, ex-prostituée, créature déjantée, risquait d'entacher sérieusement la
respectabilité de leur nom et par là même, de toute la famille.
Pourtant, dans ces conditions de tensions particulièrement difficiles, je tentai un tour de force
pour retourner la situation à mon avantage. Sans trop y croire, j’adressai à mes beaux-parents
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